Hiroshi vit dans l’agglomération de Tokyo avec ses parents et son frère. Un jour, après l’école, l’adolescent s’enferme dans sa chambre. Pendant deux ans, il refusera d’en sortir et d’y laisser entrer qui que ce soit. Telle est l’intrigue du film De l’autre côté de la porte, réalisé par Laurence Thrush 1, directement inspiré du phénomène des hikikomori.
Le psychiatre Tamaki Saito popularise le terme en 1998, dans son ouvrage Retrait social, l’adolescence qui n’en finit pas. Selon sa définition, un hikikomori est « un jeune retiré chez lui ne prenant plus part à la société depuis au moins six mois, sans qu’une pathologie mentale ne soit identifiée comme cause première ». Saito avait avancé le chiffre d’un million d’hikikomori au Japon, quand les autorités nippones en dénombraient alors jusqu’à 500 000. Dans les années 2000, le phénomène sort de l’archipel, gagnant l’Amérique du Nord, l’Océanie et l’Europe.
En France, le Centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale, sociétés (Cermes3) de l’Université Paris Descartes a été contacté voici quelques années par une équipe pluridisciplinaire de chercheurs japonais étudiant le sujet. « Ils souhaitaient savoir si ce phénomène était culturel, lié à une interdépendance des liens au Japon, en particulier à une certaine redevabilité des enfants envers leurs parents rendant plus complexe l’autonomie des jeunes, explique Natacha Vellut, psychologue, membre du Cermes3, qui a co-dirigé un ouvrage collectif franco-japonais sur le sujet 2. Ils avaient cependant l’intuition que ce n’était pas une question strictement japonaise. »
Un continuum de situations
Si l’intuition était bonne, reste à explorer le phénomène. « Il peut être défini comme une conduite, un comportement, mais ne relève pas d’un diagnostic psychopathologique, soulève Natacha Vellut. En soi, les phénomènes de réclusion ne sont pas nouveaux, mais concernent plutôt des personnes âgées. Ici ce sont de jeunes gens, dont on attend plutôt qu’ils soient dans une optique de création de liens sociaux. » Les travaux sur la question font parfois état d’hikikomori primaires – un retrait social sans arrière-plan de pathologie mentale – et d’hikikomori secondaires – avec une comorbidité (troubles dépressifs, schizophréniques, Asperger…). « Dans cette distinction, il faut souligner la question de la temporalité, reprend Natacha Vellut. Chez les hikikomori primaires, s’il n’y a pas de trouble à l’origine de la conduite, cela ne signifie pas qu’il n’y aura jamais de trouble associé, certains pouvant se développer en raison même de la réclusion. »