Les introvertis contre-attaquent

Intuitivement, nous avons tendance à penser que le monde est fait 
par et pour les extravertis. Mais que les introvertis disposent 
de compétences insoupçonnées. Est-ce bien vrai ?

Nous sommes en 2012, sur la scène sacrée d’un des shows made in USA les plus populaires : le cycle des conférences TED (bien entendu, n’entendez pas TED comme « trouble envahissant du développement », mais comme « Technology, Entertainment and Design »). Ces planches, qui réunissent tous les ans la crème de la crème pour quelques jours de safari intellectuel, ont été foulées par des pontes de renom telles que le chanteur Bono de U2, le co-fondateur de Wikipédia Jimmy Wales, les co-fondateurs de Google, ou encore le Prix Nobel de la paix Al Gore. Aujourd’hui, c’est au tour de Susan Cain, diplômée en droit de Princeton et Harvard, auteur du best-seller américain La Force des Discrets : le pouvoir des introvertis dans un monde trop bavard – et introvertie auto-revendiquée –, de clamer haut et fort le fruit de ses observations : « Nos institutions les plus importantes, nos écoles et nos lieux de travail, sont conçues principalement pour les extravertis et pour les besoins qu’ont les extravertis de beaucoup de stimulations ! ». Son objectif ? Révéler les ressources des personnalités introverties qu’elle estime dévalorisées en société au profit des personnes extraverties. Études en psychologie sociale à l’appui. Cette conférence fut traduite en 41 langues et vient de dépasser, à l’heure même où nous vous concoctons cette enquête, les 9 millions de vues. Dans la veine de cette publication au succès XXL, en moins de deux ans, quelques ouvrages se sont immiscés dans le paysage éditorial, sur la pointe des pieds : La Revanche des discrets : au royaume des bavards, les discrets sont rois de la blogueuse Sophia Dembling, La Discrétion ou l’art de disparaître du philosophe Pierre Zaoui ou encore La Force des introvertis, de l’avantage d’être sage dans un monde survolté de la psychologue clinicienne franco-américaine et cofondatrice de l’EAT (École d’analyse transactionnelle) Laurie Hawkes.

Introvertis, extravertis, qui êtes-vous ?

C’est à Carl Gustav Jung que l’on doit les termes d’« introversion » et d’« extraversion », dès 1921. « La personne extravertie apprécie le contact social, est toujours partante, extrêmement dynamique, elle n’aime pas rester seule et préfère passer son temps libre en compagnie d’autres personnes, de préférence dans des endroits animés, nous indique Michel Hansenne, professeur de psychologie à l’université de Liège et auteure de Psychologie de la personnalité (De Boeck, 2013, 4e col). Quant à la personne introvertie [ndlr : qui représenterait moins de 15 % de la population], elle peut se définir par l’absence, et non l’opposé, des caractéristiques de la personne extravertie : l’introverti ne recherche pas le contact social, sans pour autant être mal à l’aise dans les relations. Il est plutôt calme, réservé, et laisse les autres prendre des responsabilités ». Mathieu, 47 ans, témoigne de son introversion : « La plupart du temps, je préfère rester seul, tranquille. Lorsque je suis en groupe, j’ai l’impression d’être un extraterrestre, comme si j’étais toujours à côté de la plaque. En revanche, je suis très observateur et particulièrement sensible à mon environnement, ce qui peut s’avérer fort utile dans les rapports humains ! » Attention à ne pas confondre l’introversion avec la timidité, qui est la crainte du jugement social. Laurie Hawkes poursuit : « Les personnes introverties sont davantage tournées vers l’intérieur, elles se ressourcent dans la solitude et ont un seuil d’excitabilité plus bas. Ainsi, si trop d’excitations fatiguent l’introverti, l’extraverti, lui, a besoin de sa dose ! ». Pour autant, rares sont les introvertis et extravertis pures souches ! Il existe avant tout des « ambiverts » ou « ambivertis », à savoir des personnes qui flânent d’un pôle à l’autre. « Comme toutes les autres dimensions de la personnalité, l’extraversion s’envisage sur un continuum avec l’extraversion d’un côté et l’introversion de l’autre. La plupart des individus se trouvent au centre de ce continuum, signifiant qu’ils peuvent agir de manière extravertie ou introvertie selon les situations », note Michel Hansenne.