Au cours d’une journée d’étude organisée début octobre par l’université de Strasbourg et intitulée « Souffrance à l’école », psychologues de tous horizons, formateurs, sociologues et philosophes ont présenté leurs recherches. Que se passe-t-il dans l’éducation nationale ? De quoi y souffre-t-on ? Les solutions à appliquer sont-elles collectives ou individuelles ? Eléments de réponse.
La situation de travail dégradée des enseignants
Françoise Lantheaume, sociologue, a mené plusieurs enquêtes qui lui permettent de décrire les difficultés actuelles du métier d’enseignant. Tout d’abord, l’objectif fixé aux professeurs pose problème : on leur demande de combiner réussite collective et bien-être individuel, élitisme et démocratisation, quantité et qualité. En plus d’une efficacité mesurable, ils doivent assurer un suivi individualisé de chaque élève dans le cadre du développement d’une politique « du proche ». De plus, le travail se complexifie sans cesse, devient incertain, les directives transmises par circulaires ou lors des formations s’additionnent ou s’annulent. Les enseignants se sentent débordés, littéralement « sans bords », envahis par la porosité et la multiplication des tâches. S’ajoute à cela un sentiment d’inutilité et d’impuissance face au désintérêt des élèves malgré les efforts déployés. Ils doivent aussi composer avec des parents souvent trop ou trop peu impliqués dans la scolarité des enfants. Tout ceci avec peu ou pas de reconnaissance. On aurait même tendance à les rendre responsables des dysfonctionnements de l’école : en effet, les réformes menées depuis 20 ans se font systématiquement « contre » les enseignants, car on part du principe qu’ils sont défaillants et récalcitrants au changement. Il faut donc les contraindre à évoluer, et on ne leur concède aucune expertise dans leur propre métier.
Dans ce contexte, des interrogations émergent. Qu’est-ce que « bien enseigner » ? Quel est finalement le cœur de métier ? Le doute s’installe dans les esprits et peut devenir pathogène, d’autant plus que les enseignants ont une haute idée de leur métier et font généralement preuve d’un engagement exceptionnel dans leur travail malgré les moments de ras-le-bol. On constate par conséquent une usure de plus en plus précoce, car l’enseignant ne mobilise pas uniquement ses compétences, « il travaille aussi avec ses tripes ». Les enseignants vont utiliser des termes forts pour parler de leur mal-être : « aller au casse-pipe », « au front », « être essoré ». Mais cette souffrance, ils doivent la taire car elle est socialement illégitime. C’est un métier toujours et encore perçu comme privilégié : vacances, horaires, statut de fonctionnaire… En interne aussi il faut rester discret, car une fois étiqueté « enseignant en difficulté » on le reste durant toute sa carrière au sein de l’institution. La souffrance est donc vécue comme une défaillance personnelle qui fait honte.