Que l’on parle de cognition sociale, de constructivisme ou de théorie de l’attachement (voir le dossier du Cercle Psy n° 21), rien ne s’envisage sans la présence formatrice de l’autre. C’est pourquoi quand, vers le milieu des années 1990, des neuroscientifiques de l’université de Parme ont démontré l’existence d’une partie du cerveau réagissant spécifiquement à l’activité d’autrui, ils ont créé une onde de choc dans le milieu scientifique, et changé profondément et durablement la façon d’envisager le cerveau humain.
L’autre, ancré dans notre cerveau ?
En réalité, c’est surtout du cerveau du singe dont on parle dans un premier temps. En effet, dans leur article de 1996, « Premotor cortex and the recognition of motor actions », Rizzolatti et ses collègues décrivent une série d’expériences menées sur des macaques. Il existe des activations neuronales frontales à la fois quand l’animal effectue un mouvement, mais aussi quand ce même mouvement est effectué intentionnellement par l’expérimentateur : le concept de neurones miroirs est né. Par la suite, Rizzolatti 1 présente des résultats dans lesquels il étend l’activation des neurones miroirs au-delà de la préhension d’un objet (pour des expressions faciales du singe reproduites par l’homme par exemple), et l’existence de neurones miroirs dans d’autres régions du cerveau. Traditionnellement, les théories cognitives proposent que nous comprenions les actions des autres sur base d’un raisonnement inférentiel : c’est-à-dire que nous traitons des propriétés perceptives (ce qu’on voit, ce qu’on entend…) grâce aux aires primaires (cortex auditif ou visuel primaire par exemple), avant que ces informations ne soient traitées par des aires dites associatives qui les comparent avec des données déjà stockées dans notre cerveau. De cette façon, nous parvenons à savoir ce que l’autre fait.
Mais il faut avouer que l’idée d’une structure cérébrale spécifique permettant d’observer et de mesurer la nature sociale de notre cerveau est bien plus séduisante ! Dans un article de 2007 paru dans la revue Observer, le journaliste scientifique Éric Jaffe écrit : « Depuis ce jour, le terme [neurones miroirs] est devenu une sorte de phrase-choc puissante : suffisamment scientifique pour impressionner lors des dîners entre amis, suffisamment simple pour l’expliquer à votre grand-mère, et ô combien plus attrayante que disons, le condensat de Bose-Einstein ».
C’est tout naturellement que les chercheurs se sont activé à prouver l’existence des neurones miroirs chez l’homme. Y est-on jamais parvenu ? Oui et non. On comprend que l’enregistrement direct (électrodes implantées dans le cerveau) soit moyennement apprécié chez les volontaires humains. Toutefois, des techniques moins invasives suggèrent l’existence d’activations cérébrales cohérentes avec celles retrouvées chez les singes de Rizzolatti. Ainsi, un signal BOLD (dynamique de la circulation sanguine liée à l’activation cérébrale) plus important a été mis en évidence dans le cortex prémoteur, le lobule pariétal inférieur et le gyrus préfrontal inférieur lorsque des humains observent les actions des autres. Il existerait même une organisation « géographique » particulière (dite somatotopique) en fonction de la partie du corps utilisée pour réaliser le mouvement observé (les mouvements du bras, de la jambe ou de la bouche n’étant pas codés au même endroit). Plus surprenant : les régions « miroirs » s’activent chez des personnes nées sans mains observant des actions effectuées avec la main mais dans des régions cérébrales plutôt liées à la bouche ou au pied. Enfin, il faudrait bien que l’action soit intentionnelle (impliquant un objectif précis) et humaine (non réalisée par un robot par exemple) pour que de telles activations soient observées.