Les chercheurs en sciences sociales sont généralement très réticents pour aborder le thème de l'ethnicité dans la société française, comme le soulignent Vincent Geisser et Schérazade Kelfaoui, respectivement chercheurs à l'Institut de recherche sur le Maghreb contemporain de Tunis et à l'université de Paris-VIII. Le discours dominant consiste à valoriser le modèle républicain d'intégration à la française, mais selon ces auteurs, il s'agit là d'un discours communautaire qui s'ignore : « On fait en permanence de l'ethnicité sans le savoir, ou plutôt en faisant fi de l'ignorer.» Ces deux chercheurs ont essayé d'évaluer sur le terrain la validité de ce discours. L'enquête qu'ils ont menée auprès de responsables issus de l'immigration maghrébine (conseillers municipaux et dirigeants associatifs) met en évidence l'extrême précarité politique de ces derniers. Ils se retrouvent en effet en permanence ballotés entre deux logiques. D'une part une logique symbolique, qui consiste en une mise en scène quasi folklorique de leur ethnicité : leur comportement doit témoigner du bon fonctionnement de notre modèle d'intégration républicaine. Pour les auteurs, il s'agit en fin de compte d'une « ethnicité-alibi » fonctionnant « sur le registre de l'hyper-conformisme social ». D'autre part, une logique de médiation communautaire : étant perçus essentiellement comme les représentants de populations à problèmes, les élus issus de l'immigration se voient confier des dossiers sensibles, pour lesquels ils n'ont pas forcément de compétence. Ces expériences se soldent souvent par des échecs cuisants, qui condamnent ces responsables à l'immobilisme politique, voire à la démission pure et simple.
Références
V. Geisser et S. Kelfaoui, « Tabous et enjeux autour de l'ethnicité maghrébine dans le système politique français », Revue européenne des migrations internationales, vol. 14, n° 2, 1998.