Les nouveaux objets de l'ethnologie

Les ethnologues ne s'intéressent pas qu'aux sociétés lointaines. Auparavant centrée sur l'étude des traditions rurales, l'ethnologie de la France connaît depuis une vingtaine d'années une transformation importante de ses objets d'observation : la ville, ses habitants, leurs métiers et leurs loisirs, enfin tout ce qui fait la vie moderne, sont désormais placés sous le regard de l'ethnographe.

« Un Hurons aurait-il voulu, au tournant des années 70, s'informer des modes de vie de nos concitoyens à travers les productions ethnologiques, il aurait retenu que nous formions un peuple d'agriculteurs, vivant dans des villages, habitant de vieilles maisons rurales, disant des contes à la veillée, se disputant terres et avantages à travers d'âpres stratégies matrimoniales... » En raillant ainsi la tendance des ethnologues à ne s'intéresser qu'aux aspects traditionnels, résiduels ou marginaux des sociétés contemporaines, Christian Bromberger cherche, tout d'abord, à prendre la mesure des changements intervenus depuis vingt-cinq ans dans le champ de l'ethnologie de la France. De fait, comme le souligne le dossier réuni par la revue Ethnologie française au sein duquel il s'exprime, la pratique, les idées et les manières d'écrire se sont profondément transformées, au point de faire apparaître la discipline comme une sorte de bric-à-brac beaucoup plus désordonné que le pays lui-même. Quoi de commun, en effet, entre le patient catalogage des coiffes bas-bretonnes, le recueil des interactions verbales entre infirmières d'un service de chirurgie et l'étude des rumeurs concernant les centrales nucléaires ? A priori peu de choses, mais le mouvement d'ensemble est clair : en un quart de siècle, l'ethnologie est passée, en bonne partie, de la campagne à la ville, des objets anciens aux pratiques vives, du lointain au proche. Paradoxalement, alors que le goût des amateurs pour la muséographie patrimoniale et locale ne fait que croître, celui des professionnels s'est progressivement tourné vers les aspects les plus évolutifs de la vie moderne. Ainsi, rappelle C. Bromberger, l'ethnologie urbaine, introduite en France dans les années 70, s'est d'abord intéressée aux aspects archaïques, exotiques ou marginaux de la ville (artisans, communautés étrangères, bandes de jeunes). Mais, au fil des ans, les recherches se sont déplacées vers des objets plus ordinaires et des cadres de vie plus usuels : l'entreprise plutôt que l'atelier, la ville nouvelle plutôt que le quartier pittoresque, les usages des appareils domestiques plutôt que l'abattage du cochon... A mesure qu'évoluaient les moeurs, des spécialistes de la parenté - une des thématiques les plus balisées de l'anthropologie académique - se sont penchés sur des formes innovantes de recomposition familiale :