Le racisme serait en voie d’extinction. Puni par la loi depuis la deuxième moitié du vingtième siècle, il est considéré comme incompatible avec nos normes sociales. Conséquence : les individus se déclarant ouvertement racistes sont aujourd’hui très peu nombreux, ou en tout cas marginalisés. Voilà pour la bonne nouvelle. La mauvaise ? La discrimination raciale est encore bien présente dans les faits, qu’il s’agisse d’accès à l’emploi ou au logement, de visibilité publique ou politique.
Autre facteur interpellant : la pollution croissante de l’espace public par des petites phrases choc, renforçant un peu plus des préjugés déjà bien tenaces. Prononcées par des politiques ou des chroniqueurs TV, elles sont l’expression d’une discrimination qui ne dit pas toujours son nom. Dans le même ordre d’idée, il y a la montée de l’extrême droite, devenue plus modérée dit-on. Mais le racisme d’aujourd’hui n’est plus celui d’hier. Plutôt que modéré, peut-être faudrait-il utiliser le terme de moderne ?
"Racisme moderne" et idéologie
L’ouvrage du psychologue social André Ndobo (Université de Nantes), Les nouveaux visages de la discrimination (2010, De Boeck), dresse un large panorama des recherches en psychologie sur la question du racisme. Il permet de comprendre comment la discrimination raciale persiste, pendant que paradoxalement le racisme ouvert se meurt. On y retrouve notamment le concept de racisme moderne, ou racisme symbolique. Il désigne un comportement discriminatoire envers une minorité ethnique exprimé de façon indirecte. C’est, par exemple, dire : « la majorité des délinquants sont des Arabes et des Noirs », plutôt que : « je n’aime pas les Arabes et les Noirs ». La nuance est importante. Elle permet de rester en accord avec les normes de la société. Dans la première phrase, la discrimination passe par une croyance. Elle est donc indirecte et plus acceptable socialement que la deuxième phrase, ouvertement injurieuse et d’un autre temps.
Chris Crandall, professeur de psychologie à l'Université du Kansas, et Amy Eshleman, professeur de psychologie au Wagner College, ont mis en évidence dans un article (1) les différentes catégories de justification empruntées pour exprimer les préjugés dans des voies acceptables. L’individu peut notamment s’appuyer sur l’illusion naturaliste, c’est-à-dire la croyance dans un monde juste. Il libère alors ses préjugés en justifiant que chacun a ce qu’il mérite. Ce processus est proche du darwinisme social, autre justification qui considère que les inégalités sociales sont naturelles et inévitables. Ceux qui n’en sortent pas seraient donc uniquement ceux qui en sont incapables. Un raisonnement qui met de côté tout facteur socio-économique ou individuel, pourtant essentiel. Les individus ont aussi tendance à trouver des responsabilités aux individus qui souffrent ou qui sont victimes. C'est ce qu’on appelle l’attribution de personnalité, qui dans nos sociétés individualistes satisfait particulièrement les normes sociales et constitue une justification adéquate à l’expression des préjugés. Il y a enfin le rôle important joué par les croyances, idéaux, valeurs, etc. Le raciste moderne endosse des valeurs non égalitaires qui incluent l’individualisme et le travail dur. Il pense qu’aucun groupe ne devrait recevoir de traitement particulier et que les populations d’origine immigrée représentent un danger pour le système.