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Les partis d’extrême droite réalisent-ils une percée sans précédent dans de nombreux pays européens ?
Je parlerais plutôt d’une consolidation de ces partis. Presque tous les pays comptent désormais un ou plusieurs mouvements comparables au Rassemblement national (RN) : Fratelli d’Italia en Italie, le PiS en Pologne, l’AFD en Allemagne, etc. Ils se sont inscrits de façon durable dans leurs paysages politiques respectifs et gagnent un nombre significatif de sièges : 177 au total, soit 24 % des 720 sièges du Parlement, contre 165 en 2019 – en tenant compte alors des 29 sièges du Brexit Party au Royaume-Uni.
Attention toutefois aux biais de représentation, car le nombre de sièges attribués dépend aussi de l’importance des États : si, par exemple, le RN apporte le contingent le plus important, avec 30 sièges pour 31,4 % des voix, c’est aussi en raison du poids démographique de la France en Europe. À l’inverse, le Fidesz hongrois de Viktor Orbán a rassemblé près de 45 % des suffrages lors de ces élections, mais n’obtiendra au final que 11 sièges. De manière générale toutefois, la poussée annoncée des partis d’extrême droite s’est confirmée.
N’était-ce pas déjà le cas lors des précédentes élections européennes ?
En 2019, l’extrême droite était arrivée en tête en Italie, en France ou encore au Royaume-Uni lorsqu’il était encore membre de l’Union européenne. Cette vague faisait notamment suite à la crise des réfugiés de 2015, lorsque des centaines de milliers de migrants syriens sont arrivés aux portes de l’Europe. Les partis d’extrême droite en ont fait un enjeu hautement politique, y compris en Europe de l’Est où la question migratoire était jusque-là peu présente – par exemple en Slovaquie, en Hongrie ou en République tchèque.
Par la suite, leurs représentants ont enregistré de bons scores aux élections. Marine Le Pen rassemble 33 % des voix au second tour de la présidentielle de 2017, quand en Hongrie Viktor Orbán convainc près d’un électeur sur deux aux législatives de 2018, etc. C’est d’ailleurs pourquoi on ne peut pas vraiment parler de « progression spectaculaire » aux dernières européennes : ces partis étaient déjà très haut !
En quoi cette dynamique découle-t-elle plus généralement de ce que vous appelez une « polycrise » depuis 2008 ?
Des bouleversements majeurs se sont accumulés ces quinze dernières années : éclatement de la bulle financière en 2008, effondrement de l’euro en 2011, crise des réfugiés en 2015, pandémie de Covid à partir de 2020, invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, crise de l’inflation et du coût de la vie aujourd’hui… À chaque fois, l’extrême droite a été capable d’instrumentaliser politiquement la colère, les inquiétudes et les insatisfactions.