Les pouvoirs de la gratitude Entretien avec Rébecca Shankland

Parmi les sujets de prédilection de la psychologie positive figure la gratitude, une émotion bénéfique qu’on peut apprendre à développer. Il paraît que c’est bon pour le moral, le mental et le social, alors…

Avec votre ouvrage consacré à la gratitude, j’entends d’ici certains grincheux vous accuser de faire de la psychologie pour les Bisounours… Qu’avez-vous à leur répondre ?

Ça nous arrive d’avoir ce type de retour quand on parle de psychologie positive. Il ne s’agit pourtant pas de chercher à être toujours content ni de nier ce qui dysfonctionne, mais de comprendre ce qui permet de s’adapter le mieux possible aux situations difficiles. Un de ces moyens consiste à réorienter l’attention vers les aspects satisfaisants du quotidien repérés en soi et chez les autres. La gratitude est justement une émotion mêlée de joie et de surprise face à quelque chose qui nous fait du bien. Elle peut passer inaperçue tant les êtres humains ont tendance à s’habituer à tout, et en arrivent à ne même plus remarquer le positif.

Pour vous, la gratitude ce n’est pas seulement dire merci de façon apprise ou conventionnelle : il doit s’agir d’une émotion spontanée ?

On a tendance à confondre la gratitude, qui est une émotion, et le remerciement. La politesse est très importante pour les relations sociales, mais elle se distingue très clairement de l’émotion elle-même. Or lorsque la politesse est forcée, par exemple quand on sait que quelqu’un attend qu’on lui dise merci, l’émotion est diminuée. Avec la gratitude, il n’y a aucun calcul, c’est une envie de partage, un élan pour aller vers autrui sous peine de frustration. Elle peut s’accompagner d’un sentiment de dette, notamment dans des pays asiatiques comme le Japon où on apprend à être redevable, et pas seulement d’un merci. Ce sont les États-Unis qui voient la gratitude le moins associée à un sentiment de dettes : quand on reçoit de l’aide, on éprouve de la reconnaissance mais sans exigence de réciprocité. Ce qui paraît aussi culturellement déterminé, c’est que les hommes ont plus de mal à expérimenter et exprimer la gratitude, et d’ailleurs leurs émotions en général.

Vous expliquez que la gratitude est bonne pour la santé mentale et physique. Parce qu’elle réduit le stress, en premier lieu ?

Oui, le stress chronique induisant des risques de maladie chroniques, enrayer cette dynamique est un facteur protecteur très utile pour la santé physique. Au niveau psychologique, la gratitude exerce un impact sur le soutien social : on a l’impression d’être davantage connecté aux autres, mieux entouré, tout en renforçant le caractère durable des relations, ce qui constitue aussi des facteurs de protection essentiels. D’autre part, en matière de dépression, les ruminations (le fait de ressasser des pensées négatives envers soi, les autres ou l’avenir) peuvent être contrebalancées par une réorientation de l’attention vers d’autres aspects du quotidien, ce qui a un impact sur le sommeil : le soir, on peut favoriser l’endormissement en pratiquant le journal de gratitude, où l’on note trois à cinq choses de la journée écoulée pour lesquelles on est reconnaissant.