Allemagne nazie : exterminer les « parasites »
On sait à quelles abominations la Seconde Guerre mondiale a conduit dans les camps de concentration… On sait moins qu’à des fins eugénistes 150 000 patients des hôpitaux psychiatriques allemands ont été euthanasiés. Ce plan d’extermination porte un nom : Aktion T4. Hitler arrive au pouvoir, en 1933, dans une Allemagne éprise de théories hygiénistes sur la santé du corps, mais aussi la santé collective. À l’époque, les théories psychiatriques sur l’hérédité initiées au XIXe siècle sont très prisées. On naît « fou », « asocial », « criminel », « débile » ou comme on dit à l’époque, un « terrain taré ».
Le neurologue Viktor von Weizsäcker explique ainsi, le plus naturellement du monde, que « prendre part de façon responsable au sacrifice de l’individu pour la collectivité », c’est agir au nom du bien. Il faut donc « éliminer des vies sans valeur » afin d’améliorer le « capital humain ». Car, selon cette théorie, si on élimine les « parasites », les « marginaux », les « asociaux », on éradique des individus plus vulnérables qui risquent donc d’être moins autonomes. Et s’ils sont moins autonomes, ils vont forcément coûter plus cher en termes de soins médicaux ou de dépenses sociales. C’est là, on le comprend, une subversion de la théorie darwinienne.
Pendant longtemps, on a pensé que l’Aktion T4 avait été coordonné par un petit noyau de SS illuminés. La réalité historique est autrement plus noire : il ne fait aujourd’hui plus aucun doute que la majorité des psychiatres allemands, tout comme la majorité du corps médical allemand, savait parfaitement que des personnes ont servi de matériel d’expérimentation avant d’être exterminées. Ils ont validé cette Aktion sans ciller. Dans un premier temps, 360 000 personnes supposées atteintes de tares héréditaires sont stérilisées de force, sur décision de tribunaux de santé héréditaire organisés comme n’importe quelle autre tâche bureaucratique. Pas de vagues, de publicité ou d’éclat : tout se déroule dans l’apparente banalité procédurière de la bureaucratie. Mais rapidement, Wilhelm Weinberg, fondateur de la Société d’hygiène raciale de Stuttgart, postule qu’il faudrait cinq siècles, si l’on stérilise ces « malades », pour réduire de 1 %, grand maximum, l’apparition d’une maladie génétique récessive dans une population. L’euthanasie s’offre donc comme une solution alternative toute trouvée pour accélérer le processus de « désinfection » du peuple allemand.
À partir d’octobre 1939, tous les patients relevant de critères définis par le ministère de la Santé seront à éliminer, en vertu d’une loi orchestrée par le psychiatre Ernst Rüdin. Par exemple, le groupe 1 est constitué de patients schizophrènes, épileptiques, syphilitiques. Dans le groupe 2, on trouve les patients internés depuis au moins cinq ans. Dans le groupe 3, ceux qui ont un passé criminel, les étrangers et les Juifs. 5 000 enfants de 0 à 3 ans seront euthanasiés.
Très souvent, on ne voit même pas les malades à euthanasier, pour les ausculter. Trois sélectionneurs se réunissent, examinent chaque dossier et l’annotent. Quand un dossier se retrouve avec deux petits « - » rouges, c’est que le patient doit être euthanasié. Les malades triés sont alors envoyés en autobus gris dans des « centres de traitement ». Là, ils seront gazés au monoxyde de carbone, ou éliminés par injection létale, ou encore privés d’eau et de nourriture jusqu’à ce qu’ils meurent. On trouve six « instituts » de la sorte dans le Reich, identifiés par un code : « Be » pour Bernburg, « B » pour Brandenburg, « C » pour Hartheim, « A » pour Grafeneck, « D » pour Sonnenstein et « E » pour Hadamar.