Les secrets des grands orateurs

Il est vital de redonner à l’art de bien parler l’importance qu’il avait dans l’Antiquité, en commençant par l’école. Illustration avec un petit bréviaire des figures-clés…

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Pour comprendre l’art de bien parler tel qu’il nous a été légué par l’Antiquité grecque et romaine, on gagne à le considérer comme il était, un art de chair et de sang.

On l’a oublié, car jusqu’à une période récente et depuis plus d’un siècle, l’oral à l’école française a été réduit à la portion congrue en n’étant qu’une transposition maladroite de l’écrit. On ne s’attachait pas à donner aux élèves la compétence de parler en public. On ne mobilisait guère l’oral comme principe éducatif, le réduisant à la récitation, le plus souvent assis et comprimé derrière la table. Il en était ainsi de l’oral de français, où l’enjeu principal était devenu de restituer un commentaire de texte appris par cœur plus qu’habité, et où l’examinateur attendait un propos personnel comme une eau rare.

La reconquête a cependant débuté dans les programmes scolaires depuis quelques années. L’exploration vocale et le chant ont remplacé l’inénarrable flûte à bec dans l’éducation musicale ; plus largement, « les langages de la scène et du corps » font désormais partie du socle commun de compétences. Le texte officiel qui présente le Grand Oral du bac, inauguré en juin 2021, énonce l’objectif : acquérir la compétence de « parler en public de façon claire et convaincante ». On demande que le candidat effectue une présentation initiale de cinq minutes debout et sans notes ; on attend du futur bachelier qu’il incarne et adresse son propos.

L’épreuve anticipée de français évolue aussi, même si, du point de vue de l’oralité, on aurait pu aller plus loin. On consacre encore la moitié du temps – et des points – au commentaire linéaire et à la « question de grammaire » ; on rêverait d’une épreuve orale qui tire encore plus haut la spécificité de l’oral, avec une première partie où l’élève ait juste à lire un texte à voix haute, non pendant deux minutes, comme c’est le cas, mais cinq minutes durant, avec une vraie durée à affronter, car peut-on lire un texte, et l’interpréter, sans l’avoir compris et ressenti ? Une bonne lecture se suffirait alors à elle-même, il n’y aurait plus besoin de commentaires.

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Un discours bien dansé

Cette difficulté à déployer l’oral comme principe éducatif se retrouve dans l’approche des figures de rhétorique, souvent cantonnées au seul écrit, alors qu’elles sont nées à l’oral, avec une existence physique, vocale et charnelle. Dans l’Antiquité grecque, on disait ainsi d’un discours qu’il était bien dansé, lorsque les gestes de l’orateur étaient en harmonie avec ses paroles. Le geste, la voix, le rythme étaient considérés comme essentiels. Aussi, si l’on considère les figures de rhétorique, on évitera l’herbier de fleurs desséchées et l’énumération abstraite. On ne tombera pas dans l’écueil d’une parole coupée de sa sève. On restituera chaque figure dans son principe vital, dans son contexte social, en dépliant la façon dont elle était incarnée et adressée par les Antiques. Ne pas recueillir l’héritage comme une figure empaillée, un trophée accroché triomphalement au mur, mais comme un legs puissant en ce qu’il questionne notre propre modèle éducatif et ses manques.