Les grands singes - chimpanzés, gorilles, orangs-outans - sont capables d'imitation différée, c'est-à-dire qu'ils peuvent non seulement imiter les gestes d'une personne qui manipule un objet devant eux, mais aussi les reproduire après coup. Or, c'est une tâche complexe, impliquant une représentation mentale des actions. Les enfants en deviennent capables vers l'âge d'un an, et progressent au cours de leur deuxième année. Les grands singes y parviennent, mais après l'âge de 2 ans. Continuent-ils, eux aussi, à faire des progrès ?
Pour le savoir, des chercheurs ont pris une femelle chimpanzé, Noëlle, âgée de 4 ans, et un orang-outang, Christopher, âgé de 6 ans, qui avaient participé, deux ans plus tôt, à une étude sur l'imitation différée ; puis ils ont évalué, sur deux ans, leur capacité à reproduire une tâche dix minutes après l'avoir observée. En fin de parcours, Noëlle réussit 63 % des tâches, contre 28 % deux ans plus tôt ; mais Christopher n'est passé que de 40 % à 50 % de réussite. Explication proposée : lors de l'étude antérieure, Christopher, à 4 ans, avait déjà atteint les capacités cognitives nécessaires à l'imitation différée, et sa réussite était proche du maximum dont il était capable.
Les chercheurs terminent sur une remarque : on n'a observé d'imitation différée que chez les grands singes élevés au contact des hommes. Or les singes, comme tous les animaux, héritent à la fois du bagage génétique de leur espèce et de son environnement social, lequel suscite certaines expressions de ce génome. La substitution à ce milieu d'un environnement humain pourrait susciter chez eux une expression du génome qui est typique de notre espèce - et les doter ainsi de capacités cognitives qui se rapprochent de celles d'un enfant.
Références
D. F. Bjorklund et al., « A two-years longitudinal study of deferred imitation of object manipulation in a juvenile chimpanzee and orang-utan », Developmental Psychobiology, vol. XXXVII, n° 4, novembre 2000.