Les TCA font-ils le tour du monde ?

Non, les TCA ne sont pas l’apanage des sociétés occidentales. De plus en plus, ces pathologies traversent les frontières et frappent les jeunes gens d’autres cultures.

Les sectateurs de l’ana, secrète communauté de l’ano [ndlr : anorexie mentale], comptent désormais des représen- tants en chaque continent, chaque pays, chaque famille humaine et chaque âge, et bienheureux était le temps où on croyait les avoir repérées au sein des seuls milieux favorisés des sociétés les plus avancées », souligne Jean-Philippe de Tonnac, essayiste, journaliste et éditeur, auteur de Anorexia. Enquête sur l’expérience de la faim. Dans le bouillonnement de la mondialisation, les troubles du comportement alimentaire se répandent au même titre que les fast-foods des coins de rues, touchant sur leur passage certains pays en voie de développement. Un point que nous confirme Marie Rose Moro : « Jusqu’à il y a une vingtaine d’années, on décrivait un codage social très important chez les TCA. Dans nos sociétés, on voyait des anorexiques chez les jeunes filles de milieux aisés, voire très aisés. Chez les familles modestes, on observait davantage de l’obésité. Depuis, les TCA se sont démocratisés. L’expression de la pathologie dans les classes favorisées n’est pas aussi massive qu’auparavant ».

Un phénomène de contagion ?

Le panel des pays touchés s’élargit au fil des années. Le Mexique, pays souffrant de malnutrition, recense un accroissement du nombre d’anorexiques selon des études épidémiologiques de 2000, 2002 et 2004. Dans son analyse anthropologique sur la féminité et l’anorexie à Mexico, Karine Tinat, professeur et chercheuse au Centre des études sociologiques de Mexico, a analysé les discours de patientes anorexiques âgées de 12 à 23 ans, issues de milieux sociaux moyens à supérieurs, accueillies dans deux institutions de Mexico. L’anthropologue en conclut que bien souvent « se logent des histoires personnelles et familiales parfois douloureuses (…), d’inceste, de destruction de certains liens de parenté, de lutte contre la domination masculine… ». . D’autres études ont vu le jour sur les TCA des Iraniennes, des jeunes Chinois et Chinoises venus étudier aux États-Unis, mais aussi des étudiants de Casablanca, avec toujours ce même constat : les prévalences observées dans ces pays se rapprochent de celles des populations occidentales. « J’ai été surprise d’apprendre que l’anorexie existait également en Afghanistan, alors qu’il s’agit d’un pays au faible niveau économique. Certaines jeunes filles qui entrent en opposition avec leur famille expriment leur souffrance en s’amaigrissant volontairement, voire en arrêtant de manger », souligne Marie Rose Moro. Une question taraude les psychologues, sociologues et anthropologues de diverses contrées : cette multiplication des TCA est-elle due à la diffusion d’un modèle occidental au-delà des frontières ou, au contraire, à un meilleur dépistage de ces troubles dans certains pays jusqu’alors peu sensibilisés à la question ? « N’oublions pas que, quel que soit le pays, l’anorexie et la boulimie touchent ceux qui en ont les moyens financiers. Les pauvres, eux, se contentent de manger pour survivre ! », rappelle Gilles Boetsch.