Si l’austère Vienne fut l’épicentre du mouvement psychanalytique au siècle dernier, la foisonnante Shanghai en sera-t-elle l’hôtesse pour les prochaines décennies ? Beaucoup le pensent. Il suffit d’observer : ici, un psychanalyste qui part donner des conférences à Canton ; là, ce groupe enthousiaste qui s’envole pour « former » des psychologues du travail ou des psychiatres chinois… Pas de doute : les psychanalystes français semblent aujourd’hui vivre une nouvelle « jeunesse » auprès de ces analystes novices qui les abreuvent de questions sur l’inconscient, les rêves, ou le contre-transfert.
L’affaire n’est pas nouvelle : toute une série d’événements en pointillés, véritables bourgeons de l’éclosion actuelle, ont permis la diffusion de la pensée psychanalytique sur la terre de Confucius. Mais c’est au début des années 2000, avec deux greffes nouvelles, que les échanges entre psychanalystes occidentaux et aspirants chinois se sont réellement intensifiés. Il y a d’abord eu, en 1998, sous l’impulsion de Huo Datong (voir encadré p. 66) la création d’un département de psychanalyse à l’université de Chengdu, dans la province du Sichuan (1). Puis, parallèlement, l’émergence de nouvelles possibilités de communication à distance, notamment via le logiciel Skype, qui permet de passer des appels vocaux sur Internet.
Une terre très demandeuse
Mais ces ouvertures ne seraient rien sans le désir profond qui s’est exprimé côté chinois. « C’est de là-bas que vient l’impulsion », résume le psychanalyste Philippe Porret, membre de la Société de psychanalyse Freudienne. Les échanges entre le Centre psychanalytique de Chengdu (CPC) et ses étudiants venus se former en France, notamment à l’université Paris 7-Diderot, ont permis le retour au pays de jeunes thésards prêts à s’installer, et bien décidés à continuer leur formation comme il se doit, c’est-à-dire supervisés par leurs « maîtres » français. Même désir chez les étudiants des instituts jungiens de Canton ou de Macao, au sein desquels se préparent des doctorats en psychologie analytique.
« Ils sont avides de formation, observe quant à elle Laura Dethiville, membre associée de la Société de psychanalyse freudienne, dont l’ouvrage Donald W. Winnicott, une nouvelle approche (2) est actuellement en cours de traduction en Chine. Lors des quatre sessions annuelles que nous donnons à Shanghai, nous travaillons "à la chinoise", plus de douze heures par jour pendant une semaine : des conférences le matin, et les après-midi consacrés à des séances de contrôle collectif ».
Cette soif de formation semble présente dans l’ensemble de la sphère culturelle chinoise – même un peu au-delà – et concerne toutes les écoles de psychanalyse. Ainsi, depuis 2005, Hélène Trivouss-Widlöcher, membre de l’Association internationale de psychanalyse, a effectué plusieurs voyages à Taïwan pour donner des conférences et suivre le parcours de plusieurs psychanalystes locaux. Elle affirme avoir été « interpellée par leur fraîcheur et leur ouverture d’esprit ».