Lieu d'articulation de l'identité et du territoire, la frontière est un lieu privilégié (mais relativement délaissé) de l'observation ethnographique. Propices à vivre et penser la différence, les frontières sont aussi bien porteuses d'ouverture et de contact que d'évitement ou de stigmatisation. Il s'agit pour le chercheur de trouver la bonne distance d'observation, la bonne échelle d'analyse des faits.
Les études de cas, en France et en Europe, réunies dans ce volume (spécialités fromagères, systèmes agraires ou familiaux, langues et dialectes, types architecturaux, etc.) sont analysées à des échelles différentes : quartiers, villes, « pays » et ensembles régionaux. Elles débouchent sur une réflexion sur le statut des entités culturelles (« peuple », « ethnie », « culture »...) et sur l'identité, perçue comme « foyer virtuel » plu- tôt que comme entité substantive et bornée.
Les auteurs sont souvent ramenés à une opposition entre culture et ethnie, les frontières relatives à la notion d'ethnie étant les plus difficiles à saisir. Car la frontière est aussi affaire de représentation (de soi, de l'autre), elle est une construction sociale et symbolique. Les frontières culturelles (contrairement aux frontières politiques tranchées) sont incongrues, floues, peu conformes aux découpages, mouvantes, plus ou moins poreuses. L'enchevêtrement des facteurs, la radicale non-coïncidence des délimitations incitent à la prudence. José Rodrigues Dos Santos parle par exemple d'une « énigme cévenole » : « Comment un espace culturel peut-il à la fois être perçu comme borné par des frontières "sûres" et certaines, et défier toute définition stable de ces dernières ? »
La tendance volontariste à introduire du discontinu net au sein d'ensembles flous peut s'avérer arbitraire et dangereuse. De même, l'idée de la frontière comme marqueur culturel qui se transmet sur la longue durée. Les auteurs insistent plutôt sur les discontinuités chronologiques et préfèrent considérer la notion de frontière dans une acceptation problématique et ouverte.
La construction scientifique d'une frontière culturelle doit aussi prendre en compte l'utilisation qu'il pourra en être faite (revendications autour d'une frontière, risque de « naturalisation » de celle-ci, etc.).
« Ce n'est pas tant la notion de frontière culturelle qu'il faut remettre en cause, explique Catherine Llaty, que la manière de concevoir la culture sous un angle substantialiste. »
Evelyn Fox-Keller
Docteure en physique née en 1957, Evelyn Fox Keller a mené des recherches en biologie moléculaire, physique théorique et biologie mathématique. Elle s’est orientée vers l’épistémologie et l’histoire des sciences au début des années 1970, à travers la question du genre dans la pensée scientifique. Ses deux premiers ouvrages ont été une biographie de la généticienne Barbara McClintock (1983) et un essai sur le genre et la science (1985). Nommée professeure à Berkeley en 1988, elle quitte graduellement le terrain du genre pour celui de l’histoire des idées en biologie. Deux ouvrages suivent : Secrets of Life, Secrets of Death (1992) et Refiguring Life. Metaphors of twentieth century biology (1995). Professeure d’histoire des sciences au Massachusetts Institute of Technology depuis 1992, elle a publié deux autres ouvrages sur les idées de la génétique et de la biologie du développement (The Century of the Gene, 2000, et Making Sense of Life, 2002). Titulaire de la chaire Blaise-Pascal, elle a enseigné à Paris en 2006-2007. Ses derniers ouvrages traduits en français :
● Le Siècle du gène, Gallimard, 2003.
●Expliquer la vie, Gallimard, 2005.