Longue vie à la psychologie de la connerie

Son centre est partout, et ses limites nulle part. Et pourtant, les psychologues ne se penchent guère sur la connerie… Il était temps que Le Cercle Psy prenne le problème à bras-le-corps !

Ami(e)s, levons nos verres à la connologie, ou science de la connerie, portée sur les fonts baptismaux par Psychologie de la connerie, bréviaire dirigé par votre serviteur et paru en octobre 2018 aux éditions Sciences Humaines. Et ça n’est pas une plaisanterie. Ou alors une plaisantriste, aurait dit Gainsbourg. Car la connerie est un sujet faussement futile. Elle fait rire, mais peut provoquer des drames pour peu qu’elle se teinte d’inhumanité : demandez donc aux femmes battues, aux enfants et ados harcelés, aux souffre-douleur humiliés par des petits chefs.

Une connerie peut en cacher une autre

Des bribes de la connerie sont déjà étudiées en psychologie scientifique, comme la formation des stéréotypes, les mécanismes d’hostilité à l’égard des groupes auxquels on ne se sent pas appartenir, ou nos erreurs ordinaires de raisonnement. Mais rien qui s’efforce de réunir ces efforts parcellaires en une théorie du Grand Tout. D’où une frustration comparable à celle qui vous saisit lorsque vous comprenez que la physique quantique et l’astrophysique fonctionnent parfaitement, mais demeurent paradoxalement incompatibles sur le plan théorique (et si déjà, comme moi, vous ne les comprenez pas du tout séparément, c’est à se jeter par la fenêtre. Du rez-de-chaussée. N’exagérons rien.). Il est pourtant difficile d’adopter une autre méthode que réductionniste sur la connerie. On pourrait s’entendre sur une définition consensuelle du phénomène, ce qui promet des années de débats, puis l’étudier en se fondant, par exemple, sur des données déclaratives : « Si vous êtes con, cochez cette case. » Ce serait mal parti… Ou alors il faudrait suivre au long cours une cohorte de cons, pour observer ce qu’ils font de leur vie comparativement à des sujets lambda. Infaisable, et dangereux ! Qui oserait décréter quels quidams méritent de se voir inclus dans le groupe de cons ? Sur quels critères ? Et quand bien même, comment obtenir leur accord éclairé ? « Bonjour, nous vous trouvons cons et nous allons vous observer pendant vingt ans, mais faites comme si on n’était pas là… » Il y aurait de quoi imaginer une fiction très drôle, mais, dans la vie réelle, quel désastre éthique et scientifique… Les chercheurs auraient l’air con, ce qui serait un comble.

L’établissement d’une connologie sur le modèle d’une science dure relève donc du casse-tête. Mais c’est un sujet de sciences humaines par excellence, et il n’y a guère qu’une chose plus stupide que prétendre cerner la connerie : ne pas même essayer. Prenant la nôtre à deux mains, nous avons donc demandé à une trentaine de psychologues mais aussi sociologues, philosophes, écrivains, de réfléchir au problème de la connerie humaine en s’adressant à l’intelligence des lecteurs. D’où Psychologie de la connerie, qui nous emmène de l’Institut Universitaire de France au MIT, de la Sorbonne à Harvard, de l’Institut du Cerveau et de la Moelle épinière à Stanford, avec des détours via la Belgique, la Suisse et le Québec, pour évoquer la connerie omniprésente au travail, dans les médias, entre amis… et jusque dans nos rêves !

50 nuances de cons

Au pays de la connerie, comme dans tous les pays, on s’amuse, on pleure, on rit, il y a des méchants et des gentils… La lapalissade qui vient immédiatement à l’esprit en pensant aux cons, c’est qu’ils se caractérisent par un manque d’intelligence. On ne peut qu’en convenir, certains ont la tête bien vide. Bien creuse. Et bien dure, quoique fêlée : vous pouvez tenter de lui insérer des bouts de jugeote à une extrémité, ils se fraieront toujours un chemin pour ressortir. C’est le tonneau des Danaïdes. Or, il existe également des cons à la tête bien pleine ! Mais mal rangée… Dans le livre, le philosophe Pascal Engel insiste sur ces cons intelligents, ces sots, qui utilisent leur culture parfois réelle et profonde pour défendre les thèses au mieux les plus farfelues, au pire les plus dangereuses. Les plateaux de télé raffolent du con pédant jamais à court de références contradictoires et de citations attrape-tout pour jeter sa poudre aux yeux au milieu des paillettes. Le psychologue Yves-Alexandre Thalmann évoque pour sa part un autre cas, celui où nous faisons le con en toute connaissance de cause : car c’est bien beau d’être intelligent, encore faut-il choisir d’agir en conséquence. C’est la malédiction du fumeur qui sait pertinemment qu’il devrait s’arrêter, mais continue en s’affligeant de lui-même… Ou du carnivore qui ne renonce pas à la viande malgré l’excellence des arguments adverses, nous explique Laurent Bègue (arrêtez de me regarder comme ça…). N’oublions pas non plus les cons à la tête bien pleine mais dérangée, dont le psychiatre Jean Cottraux rappelle les similarités avec les tristes sires souffrant d’un trouble de la personnalité narcissique. Ceux-là sont odieux : l’empathie n’est pas leur fort et pour peu que leur psychopathie se colore de sadisme, vous disposez d’un Hannibal Lecter dont vous vous pourlécherez si vous aimez souffrir. On peut complexifier, redistribuer, le spectre de la connerie à l’infini, Jean-François Dortier, fondateur du Cercle Psy, exposant les différences notables entre les beaufs, les zinzins, et même les crétins, débiles, idiots et imbéciles, tous ceux dont le qualificatif s’est échappé des classifications médicales du XIXe siècle.