De tous les philosophes, Nicolas Machiavel est sans doute celui que l’on associe le plus spontanément à la ruse. Ne recommande-t-il pas au prince d’être rusé comme un renard et féroce comme un lion dans l’exercice du pouvoir ? (Le Prince) Dissimuler, tromper, voire tuer si les circonstances l’exigent : telle est la leçon que l’on retient communément de Machiavel, l’un des rares philosophes entrés dans le langage courant. Inutile en effet d’avoir lu Le Prince pour savoir ce qu’est un être machiavélique, avide de pouvoir et prêt à tous les stratagèmes pour y parvenir.
Dompter la fortune
Mais Machiavel lui-même est-il vraiment machiavélique ? Les passages sulfureux qui l’ont rendu célèbre reflètent-ils le fond de sa pensée ? Depuis la parution posthume du Prince et des Discours sur la première décade de Tite-Live, ses œuvres les plus marquantes, la question divise les commentateurs. Certains répondent par l’affirmative et condamnent l’enseignement « démoniaque » de Machiavel au nom de la morale chrétienne ou civique. D’autres au contraire pensent que le prétendu machiavélisme de Machiavel est un travestissement de l’œuvre et traduit une mauvaise compréhension de son raisonnement. Machiavel ne peut avoir défendu la cruauté en politique puisqu’il célèbre par ailleurs les vertus civiques du citoyen. Pour les interprètes qui inscrivent Machiavel dans la tradition républicaine, son apologie de la ruse est purement circonstancielle. Elle s’explique par le patriotisme d’un Florentin dans le contexte historique troublé de l’Italie du Quattrocento. Machiavel aurait défendu la ruse parce que c’est un pis-aller en période de crise et que la défense de Florence justifiait que l’on se batte avec des armes efficaces contre les ennemis français et espagnols.