Manhattan ou la mémoire insulaire

Anne Raulin, Institut d'ethnologie, 1997, 250 p., 190 F.

Cette anthropologie de la ville de New York présente une remarquable étude historique et sociologique des toponymes de l'île de Manhattan. Fouillée, documentée, et construite avec un luxe de soin, elle restitue, à travers la toponymie, les étapes historiques de l'urbanisation du coeur de New York : celle des fondateurs hollandais, nostalgiques de leurs canaux, celle de l'adoption au xviiie siècle d'un plan en grille aboutissant, au xixe, avec le quadrillage numérique de la ville, puis l'ère du comblement à la fois horizontal et vertical de l'île, sous la poussée des migrations européennes. Derrière les noms de rue, de carrefours, de monuments, c'est la mémoire sociale, politique, industrielle, culturelle et symbolique de Manhattan qui se construit par couches. L'évocation des controverses toponymiques est passionnante, par exemple lorsqu'elle met scène l'hésitation américaine (pas seulement new-yorkaise) à se choisir des racines amérindiennes ou gréco-romaines. Finalement saisie par l'uniformité étouffante du plan en grille, Manhattan n'offrira à ses propriétaires la possibilité d'exprimer leur individualité que dans le plan vertical. Pour ouvrir et conclure cette très originale étude, Anne Raulin présente, en texte et en images, quelques vues modernes sur New York qui témoignent de sa sensibilité à voir ce qui s'y vit. Tout juste remarque-t-on que, par moments, la conceptualisation dépasse un peu les possibilités du matériau. Il n'est pas certain, après tout, que l'« intégration psychique » de Manhattan soit un fait avéré, ni qu'elle ait à voir avec ses noms de rues.