Vous écrivez que la psychologie et les neurosciences ont trop de points communs pour pouvoir vivre séparément. Est-ce à dire que tout psychologue, à terme, devra connaître le fonctionnement du cerveau ?
Je le pense, au contraire de beaucoup. J’ai écrit autrefois De la physiologie mentale. Histoire des relations entre biologie et psychologie (Odile Jacob, 1996) : j’y expliquais combien la psychologie avait toujours été ballottée entre la philosophie et les sciences de la vie. En France, jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, la psychologie était rattachée aux départements de philosophie. C’est le CNRS qui, lors de sa fondation, l’a assujettie à la biologie. Les sciences du cerveau, dans leur développement, vont avoir tendance à envahir, certains disent coloniser, beaucoup des sciences du comportement. Et je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas le cas : on commence à parler de neurosciences sociales, cognitives, économiques, et ainsi de suite. C’est une façon de reconnaître que nos actions et nos pensées sont conditionnées par nos neurones, et qu’il n’y a pas à établir de distinction entre les comportements et leur contrôle par le cerveau. C’est facile à admettre si on se place au niveau de l’individu avec son déterminisme biologique, plus problématique si on se place au niveau de la personne avec ses caractéristiques plus proches des sciences humaines. Il faut éviter de retomber dans l’ornière dualiste de la philosophie classique.
Justement, le grand public et le milieu des sciences humaines et sociales nourrissent parfois des appréhensions vis-à-vis des neurosciences : tentation du réductionnisme, prétention à expliquer tout le comportement par la biologie, voire émergence d’un « neuropouvoir »… Certaines de ces craintes vous paraissent-elles légitimes ?
Oui, par exemple celles liées au réductionnisme. L’enthousiasme juvénile des neurosciences saute sur tout ce qui bouge dans le domaine du comportement. On parle même de neurothéologie, pour tenter d’expliquer les croyances religieuses par des mécanismes neuronaux. C’est beaucoup trop rapide ! Dans quelques décennies, on reconnaîtra sans doute qu’il existe une base biologique commune, un mécanisme unificateur à nos comportements automatiques ou au contraire plus conscients. Mais l’affirmer pour l’instant, c’est prétentieux.