Marie-Frédérique Bacqué : Comment vivre la mort d'un enfant ?

Professeur de psychopathologie à l’Université de Strasbourg, Marie-Frédérique Bacqué a participé avec Michel Hanus à la fondation de l’association Vivre son deuil. Depuis plus de 10 ans, elle reçoit, en thérapie individuelle ou en groupes de parole, de nombreux parents endeuillés. Elle anime aussi ces groupes de parole à travers l’antenne alsacienne de l’association Nos Tout Petits, spécialisée dans le deuil périnatal. Elle est notamment l’auteur de Mourir aujourd’hui, (Odile Jacob, 2003) et de L’un sans l’autre (Larousse, 2007).

 

La mort d’un enfant semble la pire des disparitions. Est-ce dû au fait qu’un enfant est le prolongement de nous-mêmes, aux espoirs que nous mettons en son avenir, au fait que bien avant de naître, l’enfant existait déjà dans notre imaginaire ou est-ce un peu tout cela à la fois ?

L’idée que la perte d’un enfant soit la pire est une idée extrêmement moderne. Ce que disent en fait les études est que le pire des deuils est celui du conjoint. Comprenez-moi bien : quand je dis le pire, c’est au sens de ses conséquences physiques, somatiques, psychiques et comportementales. Mais dans nos sociétés occidentales, notre projection sur l’enfant à naître est immense, d’autant plus grande que les enfants survivent et vivent très longtemps aujourd’hui. Dans les pays où le taux de mortalité est important dans la petite enfance, le deuil de l’enfant est moins considéré que celui de l’adulte. Plus encore que l’imaginaire que l’on a investi dans l’enfant à venir, la vraie question est celle de la représentation. Il y a encore 100 ans, l’enfant à naître représentait la prolongation de la lignée. Aujourd’hui, il représente la prolongation de l’image de soi. Il y a une individualisation de cette projection, d’où une souffrance personnelle extrêmement importante qui fait beaucoup de dégâts physiques, mentaux et psychiques alors que jadis, c’était une souffrance partagée et assumée par l’ensemble du groupe familial. Et ce n’est pas sans incidence sur la vie du couple : chacun des parents s’étant projeté de façon personnelle sur l’enfant, chacun va vivre différemment le deuil de cet enfant et, si cette différence n’arrive pas à être comblée par l’échange, par le dialogue, le couple explose. C’est pourquoi 50 % des parents qui vivent ce drame finissent par se quitter. Pas immédiatement après le décès de l’enfant mais dans les suites de sa mort.