Marie-Laure Gamet : Quelles prises en charge pour les violences sexuelles des mineurs ?

En France, au moins 10 % des femmes et 5 % des hommes ont été victimes de violences sexuelles durant leur enfance. Mais on oublie souvent que certains mineurs sont également auteurs de telles violences. Comment comprendre et aider les uns et les autres, les victimes et les auteurs ? Créatrice d'un dispositif d’accompagnement du développement de la sexualité, Marie-Laure Gamet a répondu à nos questions.
Marie-Laure Gamet, médecin et sexologue, intervient au sein du conseil général de la Marne où elle a créé un dispositif d’accompagnement du développement de la sexualité. Elle est également enseignante en sexologie et formatrice en éducation à la sexualité. A travers un livre, Les violences sexuelles des mineurs : Victimes et auteurs. De la parole au soin (Dunod, 2010), elle fait part de de son expérience de terrain tout en décrivant ces violences. Cet ouvrage est le fruit d’une collaboration avec Claudine Moïse, sociolinguiste, qui, dans son travail, analyse plus particulièrement la façon dont on traite de la sexualité dans notre société. Elle a œuvré à la synthèse et à la construction de cet ouvrage.

Quand vous parlez de violences sexuelles des mineurs, à quelles situations faites-vous référence ?

A toutes ces situations où des jeunes vont être victimes, victimes de choses qu’ils ne sont pas en mesure de vivre. La sexualité est un processus qui se développe au cours de l’enfance et de l’adolescence. La violence sexuelle correspond à une effraction dans ce développement de la sexualité, c’est-à-dire à tout ce qui survient, connoté sexuellement, et qui ne peut pas être vécu par un jeune du fait de son niveau de développement sexuel à ce moment-là. Cela explique que la peur, l’évitement ne sont pas, et de loin, les manifestations les plus fréquentes dans une situation pourtant bien violente, car l’enfant ou l’adolescent n’est pas en mesure de se défendre de quelque chose qu’il ne comprend pas. D’où le traumatisme. D’où les difficultés, voire les impossibilités, de dévoilement des violences subies. En 2007, l’OMS estimait qu’au niveau mondial 20 % des femmes et 5 à 10 % des hommes ont été victimes de violences sexuelles durant leur enfance. En France, les chiffres seraient de 10 % des femmes et 5 % des hommes. Mais je pense qu’on sous-estime les chiffres, à mon avis la France doit être proche des pourcentages mondiaux.
Lorsque je parle de violences sexuelles des mineurs, je fais également référence aux auteurs auxquels je suis confrontée dans ma pratique. Chez eux, trois éléments doivent nous interpeller. Tout d’abord, ces jeunes peuvent avoir été eux-mêmes victimes. Ensuite, parmi la soixantaine de jeunes que j’ai déjà pu prendre en charge, je me suis aperçue que 100 % avaient des troubles de l’attachement. Et troisièmement, ces violences ont à voir avec les changements sociaux intervenus : les moyens de communication ont évolué et donnent aux jeunes la possibilité de voir et d’entendre des choses en matière de sexualité, qu’ils ne sont peut-être pas encore en capacité d’identifier comme bonnes ou mauvaises, adaptées ou inadaptées pour eux et les autres en fonction de leur développement sexuel. Ceci peut créer un contexte de violence.

Vous faites bien le distinguo entre auteurs mineurs et majeurs. En quoi la situation n’est-elle pas comparable ?

La sexualité des jeunes est encore en construction ! Les progrès en neurosciences nous éclairent sur ce sujet. On sait que le cortex orbito-frontal subit un remodelage progressif. Or c’est une zone très importante dans la régulation des comportements sociaux (devenir responsable, acquérir un comportement moral, apprendre à se mettre à la place de l’autre dans les conflits interindividuels…). Ceci explique les sentiments contradictoires, les explosions en tous genres que l’on peut observer chez tous les adolescents. D’autres remaniements s’opèrent au niveau de la partie du cerveau qui participe à la genèse des sentiments de plaisir. C’est la découverte de l’élan sexuel qui pousse à aller vers l’autre. Ce sont des choses qui s’acquièrent peu à peu : on ne peut donc pas assimiler un jeune de 14 ans à un adulte. Les troubles de l’attachement viennent compliquer la tâche de ces jeunes dans leur construction. Mais ça n’excuse pas : je ne minimise pas les actes des auteurs mineurs de violences sexuelles. Ma préoccupation porte sur la possibilité de récidive qu’il faut limiter à tout prix. Il faut donc éviter à la fois de banaliser ou de stigmatiser, et surtout il ne faut pas laisser ces jeunes sur le bord de la route, car une possibilité d’évolution favorable existe.