Mathieu Bellahsen : Qu'est-ce que le collectif des 39 ?

Stéphane Hessel, Edgar Morin, Jean Oury, Caroline Eliacheff, Elisabeth Roudinesco, et tant d'autres... En quelques jours, plus de 20 000 personnes ont signé la pétition du collectif des 39 pour dénoncer l’adoption, il y a quelques semaines, en Conseil des ministres, d’un projet de loi sur les soins psychiatriques, qui tiendrait plus, selon ses détracteurs, du grand barnum sécuritaire que d'une réflexion sur la complexité de la maladie mentale. Le texte, qui sera discuté le 15 mars à l'Assemblée nationale, repose notamment sur le passage de l'hospitalisation d'office aux "soins sans consentement sur décision du représentant d'Etat". En clair, s'il est aujourd'hui possible d'imposer l'hospitalisation à un malade, les soins à domicile deviendraient également contraignants. Quels sont les impacts de ce projet de loi sur les patients, leurs familles, mais aussi sur tous ceux qui travaillent à l'hôpital psychiatrique ? Psychiatre, Mathieu Bellahsen est aussi l' un des porte-parole du collectif des 39. Il répond à nos questions.

Pouvez-vous nous rappeler dans quel contexte est né votre collectif ?

Le collectif des 39 est né en réaction au discours du président de la République dans un hôpital psychiatrique de banlieue parisienne, discours prononcé dans les suites immédiates d’un fait divers tragique à Grenoble (en novembre 2008, NDLR). L’amalgame entre folie et dangerosité était lancé. Alors qu’au quotidien, nous travaillons avec des personnes en grande souffrance, entendre un tel discours ségrégatif nous a été intolérable. A l’initiative d’Hervé Bokobza, qui avait organisé les Etats Généraux de la psychiatrie en 2003, nous nous sommes réunis à 39 lors de la première réunion. Nos origines citoyennes et professionnelles étaient diverses. Nous avons écrit un appel qui a réuni 30 000 signatures, et nous avons organisé trois meetings pour que le traitement réservé à la psychiatrie et, plus largement, à la folie dans sa dimension humaine, soient considérés comme une question de civilisation qui nous concerne tous, et pour dénoncer la nuit sécuritaire qui s’abattait sur les plus fous d’entre nous.

Quels sont, selon vous, les dangers du projet de loi sur les soins psychiatriques qui sera discuté le 15 mars à l'Assemblée ?

Le changement paradigmatique est le suivant : la psychiatrie ne devra plus être au service des patients et de leur famille, mais se devra d’assurer, en priorité, le contrôle de l’ordre public pour toute personne qui a un comportement un tant soit peu déviant par rapport à la norme du moment. La perspective n’est plus de soigner et de prendre soin, mais juste de protéger la société par des mesures sécuritaires. Alors que tout le travail depuis la Seconde Guerre mondiale a été de réintégrer la folie au cœur de la cité (création du secteur psychiatrique, mouvement de psychothérapie institutionnelle, etc.), il s’agit maintenant de procéder à un grand renfermement qui aura la caractéristique de ne plus se faire seulement à l’hôpital, mais également au domicile de tout un chacun ! C’est donc l’avènement d’un dispositif de contrôle à défaut d’un dispositif soignant.