Le destin de la philosophie de Maurice Merleau-Ponty est à l’image de son créateur : important mais discret. Merleau-Ponty fut l’un des premiers à importer au cœur du débat intellectuel français l’un des grands courants philosophiques du 20e siècle : la phénoménologie. Et il fut surtout celui qui posa les bases d’une nouvelle ontologie capable d’éviter les pièges du dualisme sujet/objet dans lesquels s’enlisent les métaphysiques classiques. En disciple de Edmund Husserl et Martin Heidegger, Merleau-Ponty comprend très tôt que l’idée d’une conscience surplombant le monde est une impasse. La conscience est toujours « conscience de quelque chose » (Husserl), « être-au-monde » (Heidegger). Autrement dit, avant d’être conscience réfléchie, positive, elle est toujours prise dans le monde, en rapport avec le monde dans un face-à-face, une indistinction qui n’est pas accidentelle mais essentielle à la conscience. C’est cette expérience première, nécessairement corporelle, que Merleau-Ponty ne va cesser d’interroger. Un projet dont il ne déviera pas et qui obligera le philosophe à un dialogue incessant avec les sciences humaines.
Comment devient-on un sujet conscient ?
Premier acte : « La structure du comportement » donc, où Merleau-Ponty, contrairement à ses maîtres, pense pouvoir régler la question de la description de notre expérience primitive du monde grâce aux apports de la science. Il s’intéresse à la psychologie allemande de l’entre-deux-guerres (la psychologie de la forme), et notamment aux travaux du neurologue Kurt Goldstein dont il fera traduire La Structure de l’organisme (1934, trad. fr. 1951) dans la collection « Bibliothèque de philosophie » qu’il crée avec Jean-Paul Sartre chez Gallimard. Ce courant psychologique pose les limites d’une compréhension strictement causale et pavlovienne des conduites. Les psychologues de la forme plaident pour une approche holistique de la perception, de l’apprentissage et plus globalement de l’individu vivant. En clair, ce ne sont pas les propriétés physiologiques internes qui caractérisent un être vivant, mais le fait d’« être un comportement », c’est-à-dire d’exister dans une incessante dialectique avec l’environnement.