C’est en 2004 que les médias commencent à mentionner les thérapies comportementales et cognitives, ou TCC. A l’époque, une expertise controversée de l’Inserm les présente comme des modes de prise en charge plus efficaces que la psychanalyse, ce qui provoquera des polémiques cinglantes, « la guerre des psys ». Le grand public découvre alors ces thérapies proposant de nous débarrasser des conditionnements profondément enracinés en nous et qui, à notre insu, provoquent et entretiennent automatiquement, jour après jour, nos réactions inadaptées, nos jugements lapidaires sur nous-mêmes, autant de cercles vicieux aux conséquences douloureuses. Simultanément, les psys bien informés entendaient déjà parler d’une « troisième vague » de TCC : après les thérapies comportementales, puis les thérapies cognitives, de nouvelles techniques avaient fait leur apparition aux Etats-Unis. Aujourd’hui, elles commencent à susciter un certain engouement en France. Les plus connues sont la thérapie ACT (thérapie d’acceptation et d’engagement), la TCD (thérapie comportementale dialectique, voir encadré), et la MBCT (thérapie cognitive basée sur la pleine conscience). Aux TCC traditionnelles, elles ajoutent deux ingrédients. D’une part, une polarisation sur les émotions, jusqu’alors envisagées de manière plus incidente. D’autre part le recours, plus ou moins systématique, à la méditation, et plus particulièrement à une forme de méditation dite de pleine conscience, ou mindfulness. Au premier abord, voilà qui ressemble au mariage de la carpe et du lapin : les TCC se piquent d’être les plus scientifiques des psychothérapies, et voilà qu’elles s’acoquinent avec des pratiques inspirées du bouddhisme ? Ce rapprochement imprévisible résulte des travaux de Jon Kabat-Zinn, un universitaire américain au parcours lui-même contradictoire.
A la fin des années 1960, Jon Kabat-Zinn accomplit un doctorat de biologie moléculaire au prestigieux MIT (Massachusetts Institute of Technology), dans le laboratoire du prix Nobel Salvador Luria. Son parcours brillant ne va pas sans doutes : il est notamment taraudé par l’insoluble mind-body problem, c’est-à-dire, comment passe-t-on de la matière à la conscience ? Lorsqu’il se rend par hasard à une conférence sur le zen au MIT, c’est une révélation. Sans renier la biologie, il part en Asie du Sud-Est et s’adonne à la méditation de pleine conscience, une technique visant à instaurer une attention accrue à l’instant présent, dans une optique d’acceptation et de non-jugement. « Il s’est dit qu’il ne fallait pas laisser la pleine conscience dans les monastères, mais la faire venir dans les hôpitaux, là où les gens souffrent, explique Charlotte Borch-Jacobsen, kinésithérapeute et membre de l’Association pour le développement de la mindfulness. Il a développé un programme laïc pour amener un peu d’humanité en médecine. » Fondateur d’une Clinique de réduction du stress, toujours au Massachusetts, ce professeur émérite de médecine est l’un des dirigeants du Mind and Life Institute, qui prône la rencontre entre bouddhisme et neurosciences. Ses séminaires internationaux attirent des psychologues, des psychiatres, mais aussi des médecins en général. Il y promeut la MBSR (Réduction du stress basée sur la pleine conscience), mélange de yoga, de visualisation et de sa chère mindfulness. Il s’agit bien d’une méthode contre le stress, pas d’une thérapie cognitive. La conjonction TCC/mindfulness sera le fait de Zindel Seagal, professeur de psychiatrie à l’université de Toronto, avec la MBCT (thérapie cognitive basée sur la pleine conscience). Il s’agit, par la focalisation sur l’instant présent, de dédramatiser et désamorcer les ruminations et appréhensions qui sont le triste lot de l’anxiété et de la dépression. Ce sont donc des psychiatres, des scientifiques, qui ont donné droit de cité à la pleine conscience dans les pays anglo-saxons. Et les praticiens des TCC ne sont-ils pas réputés pour leur exigence scientifique, attachés à des outils et des méthodes qui ont fait la preuve de leur efficacité ? Eh bien, qu’on se le dise, la méditation de pleine conscience n’est donc pas une bluette New Age, mais une technique abondamment testée et validée, dans pas moins d’une soixantaine d’articles depuis trois décennies, et suivant des critères stricts ! Enfin, presque…