Michel Crozier, Raymond Boudon, Alain Touraine Trois sociologues en quête d'action

◊ Michel Crozier (1922-2013) et l’action stratégique

Diplômé d’HEC, docteur en droit, puis en sociologie, Michel Crozier est entré au CNRS en 1952 et y a fait toute sa carrière. Il a enseigné à l’université de Nanterre (1967-1968), à l’université de Stanford (1973-1974), puis à l’IEP-Paris. Il a été conseiller scientifique de plusieurs cabinets de management, a reçu le prix Tocqueville en 1998 et est membre de l’Académie des sciences morales et politiques. Fondateur du Centre de sociologie des organisations (CSO) en 1962, il l’a dirigé jusqu’en 1993. Le sociologue autrichien Erhard Friedberg, coauteur de L’Acteur et le Système, a prolongé son travail dans le sens d’une sociologie qui déborde le cadre de l’organisation (Le Pouvoir et la Règle, 1997).


Réformer ! Tel a été le leitmotiv du sociologue Michel Crozier, qui a consacré sa carrière de chercheur à traquer, élucider et tenter de comprendre les travers que ne manquent pas de présenter aussi bien les entreprises que les diverses bureaucraties « à la française ». Cela commence par Le Phénomène bureaucratique (1963). S’appuyant sur deux enquêtes de terrain, il souligne l’existence de « cercles vicieux » bureaucratiques, caractérisés par le développement de règles impersonnelles (qui interdisent toute initiative individuelle et incitent à éviter le face-à-face), la centralisation des décisions (prises par des gens qui ne connaissent pas directement le problème à trancher), l’isolement des catégories hiérarchiques (qui renforce la pression du groupe sur l’individu) et le développement de relations de pouvoir parallèles. En effet, le règlement ne pouvant pas tout prévoir, se maintiennent des « zones d’incertitude » (des machines qui tombent souvent en panne, par exemple) qui permettent à certains individus ou groupes (les ouvriers d’entretien) d’avoir du pouvoir sur ceux que la situation affecte.