Chaque année en France, 11 000 personnes mettent fin à leurs jours et 120 000 tentent de le faire. Des chiffres suffisamment éloquents pour que le suicide soit vraiment pris au sérieux. C’est en tout cas le combat que mène Michel Debout, qui milite pour une prévention enfin efficace de cette ultime expression du désespoir. Professeur de médecine légale et de droit de la santé à la faculté de médecine de Saint-Etienne, Michel Debout a été président-fondateur de l’Union nationale de prévention du suicide et membre du conseil économique et social. Son essai Le suicide, un tabou français, écrit avec le journaliste Gérard Clavairoly (Editions Pascal, 2012), plaide pour une politique efficace de prévention du suicide.
Le suicide est-il encore regardé comme une maladie honteuse ?
Nous ne sommes plus au Moyen-Age où l’on suppliciait le corps des suicidés pour cause de blaspheme, et on ne crie plus haro sur les suicidés. Pour autant, on bannit le suicide et on baisse pudiquement les yeux sur tout ce qui pourrait en éclairer le contexte. Le moins que l’on puisse dire est que l’on n’a toujours pas pris conscience du fait que le suicide représente un vrai problème de santé publique. Il était quand même impressionnant que la secrétaire d’Etat à la santé Nora Berra, le 5 février dernier, devant un parterre des spécialistes du problème du suicide, ait pu développer son plan de prévention sans que les mots crise, chômage, licenciement ou surendettement soient pronounces, alors que nous traversons une crise sociale sans précédent et que l’on connaît le lien entre souffrance psychique et degré de vulnérabilité sociale. Les personnes en risque d’exclusion sociale ont effectué six fois plus souvent que la population générale une tentative de suicide ayant entraîné leur hospitalisation (18 % contre 3 %). Il est très inquiétant de passer cet aspect sous silence. Cela montre bien que parler du suicide peut être encore dérangeant pour certains.
Le suicide n’est-il pas une fatalité, un acte extrême qui ne concerne que les plus fragiles et qui du coup n’intéresse pas trop les pouvoirs publics ?
Je ne crois pas à la théorie selon laquelle il y aurait des gens fragiles. Je crois plutôt que les gens peuvent être fragilisés à des moments particuliers de leur vie. Si on arrive à les soutenir et à leur redonner confiance, ils redeviendront des acteurs de leur vie, des acteurs sociaux. Il faut se dire que l’on a tout à gagner à ce qu’ils retrouvent leurs capacités humaines, économiques, sociales. Un homme de 45 ans qui meurt, ça a un coût. Un coût humain evident, mais aussi un coût économique : c’est quelqu’un qui a des compétences qui va disparaître, et en même temps, autour de lui, il y aura des gens en souffrance ; or, cette souffrance va devoir être soignée, ça va donc coûter en soins, et coûter plus globalement parce que ces personnes en souffrance n’auront plus la même capacité à participer à l’oeuvre commune. C’est un calcul à courte vue que de penser que les gens déprimés coûtent à la société. Ce qui coûte à la société, c’est de les laisser dans cet état.