Épistémologue et essayiste français d’origine gasconne, Michel Serres fait partie de cette élite intellectuelle qui défriche, à partir des années 1970, des sentiers encore vierges. Ami de Michel Foucault et de René Girard, il devient professeur d’histoire des sciences aux États-Unis dans les années 1980, puis en France, avant de sillonner le monde entier. Seul un philosophe de formation scientifique pouvait produire une œuvre aussi originale et aussi dense, renvoyant l’humanité à son histoire, celle de la création du monde et de l’origine de la vie.
Le savoir, fruit de toutes les disciplines
Michel Serres s’inscrit à la suite des philosophes qui, de Aristote à Descartes en passant par Hegel et Leibniz, connaissaient les sciences de leur temps. À ses yeux, tout projet philosophique demande un minimum de connaissances scientifiques. La chimie permet de comprendre les objets que l’on touche et la biologie les remèdes qui font progresser l’espérance de vie. Un tel bagage est donc devenu indispensable pour comprendre le monde. Pourtant, aujourd’hui, à cause de la complexité des sciences et surtout de la séparation universitaire des enseignements, c’est devenu chose presque impossible. De la même façon, le scientifique, du fait de l’hyperspécialisation des domaines, manque de vue d’ensemble sur l’évolution des connaissances. Il se croit ainsi souvent seul détenteur du savoir. Or, si la philosophie a besoin de la science, l’inverse est également vrai.
Pour Michel Serres, cette relation réciproque interdit de voir dans la science la référence exclusive, comme le voudrait le positivisme. Pour lui, le savoir naît dans tous les domaines et, plutôt que de tracer des frontières, il jette des ponts entre les différentes disciplines, étudiant ainsi autant la physique que la mythologie, la peinture ou la littérature. Michel Serres entend repérer, dans la « complexité » du monde (dixit Edgar Morin), les singularités et les discontinuités qui relient les différents savoirs et prouver que l’ordre peut naître du chaos et le rationnel de l’irrationnel. Il montre ainsi que la science est elle-même intimement liée à ce qu’elle prétend exclure : la religion, la morale, la littérature… Reprenant l’idéal leibnizien de médiation entre savoirs humanistes et méthodes scientifiques, Michel Serres tente alors de dévoiler les relations visibles et invisibles qui relient les différentes disciplines.