Michel Winock : « Nous sommes dans une situation sans précédent sous la Ve République »

La dissolution de l’Assemblée nationale décidée par Emmanuel Macron à la suite des élections européennes a plongé la France dans une grande incertitude. Inaugure-t-elle une crise politique majeure ? Nous avons posé la question à l’historien Michel Winock, auteur notamment de La Fièvre hexagonale. Les grandes crises politiques 1871-1968 (Calmann-Lévy, 1986) et grand spécialiste de l’histoire de la République française.

Michel Winock, historien : « Chacune des 577 circonscriptions est un champ de bataille particulier ». © Francesca Mantovani/Gallimard

Michel Winock, historien : « Chacune des 577 circonscriptions est un champ de bataille particulier ». © Francesca Mantovani/Gallimard

Comment avez-vous reçu l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron après l’écrasante victoire du Rassemblement national aux élections européennes ? Diriez-vous que nous sommes dans une crise politique ? 
 

Ma réaction a été : stupeur et désolation. Tout le monde a été étonné, et il y avait de quoi. Lancer des élections législatives à la veille de l’ouverture des Jeux olympiques à Paris et au sortir d’un scrutin qui ne concernait que la composition du Parlement européen, on pouvait être surpris. Et également très inquiet : n’était-ce pas ouvrir la voie du pouvoir à l’extrême droite ? On saura le 7 juillet, au soir du second tour, si nous vivons une crise politique. Ce sera le cas si aucune majorité n’est possible à l’Assemblée ou si le Rassemblement national réussit à conquérir une majorité. Dans les deux cas, la menace sera lourde. 

Le président de la République n’y était-il pas tenu, après une telle déroute électorale ? Qu’aurait-il pu faire d’autre ?

Il pouvait au moins attendre. Tant bien que mal, le gouvernement avait pu faire voter ou faire passer par le recours au 49-3 un certain nombre de lois ; d’autres projets étaient en cours de discussion, capables d’obtenir une majorité, je songe notamment à celui portant sur la fin de vie – qui se trouvent renvoyés sine die. Les répercussions économiques et financières du « coup de poker » de Macron ont été immédiatement visibles et l’affaiblissement de la France en Europe et dans le monde, manifeste. La perspective d’une arrivée à Matignon de Jordan Bardella ne peut qu’alarmer les citoyens restés fidèles aux idéaux républicains et démocratiques, sans parler des troubles graves dans la rue. C’est la politique du pire qu’a choisie le président de la République, avec probablement cette arrière-pensée : déconsidérer le Rassemblement national qui, au pouvoir, ferait la démonstration de son incapacité à concrétiser ses promesses électorales et donnerait la preuve de son incompétence. Mais c’est là jouer avec le feu. La politique du pire est souvent la pire des politiques.