Lorsque, fraîchement recrutée par l’Ined, Michèle Tribalat reçut en 1976 la mission d’étudier l’immigration en France, elle héritait d’une patate chaude. En était-elle pleinement consciente ? Peut-être pas : à l’époque, on parlait encore de « travailleurs étrangers » sans que le ciel s’assombrît sur le champ. Trente-quatre ans plus tard, elle est toujours en poste, a monté en grade mais travaille hors équipe, car la patate chaude ne lui a pas attiré que des amis.
La démographie, sa spécialité, peut en effet se révéler un sport de combat : en 1992, M. Tribalat introduit dans ses enquêtes le principe du décompte des origines ethniques et préconise d’en étendre l’usage. Mal lui en prend, car le recueil de ce genre de données est peu autorisé en France, et à double tranchant : il fige des identités autant qu’il sert à mesurer des inégalités. Une sévère querelle opposera donc deux camps, les pro- et les anti-Tribalat. Le côté anti, Hervé Le Bras en tête (Le Démon des origines, 1998), est plutôt républicain et de gauche. Les pro, quant à eux, ne sont pas tous de fervents antiracistes : les statistiques ethniques ont tout pour provoquer l’enthousiasme d’une extrême droite désireuse de distinguer les « Français de souche » d’avec ceux « de papier ». Mais M. Tribalat le proclame haut et fort : elle est de gauche et réplique, avec Pierre-André Taguieff, par un Face au Front national, ce qui lui vaut l’antiprix Lyssenko du club de l’Horloge en 1999. Ses adversaires sont donc partout. Depuis, l’affaire des statistiques ethniques s’est un peu diffractée et, en tout cas, a changé de mains. M. Tribalat a-t-elle pour autant retrouvé la paix du laboratoire ?