Micheline Labelle : «Le rapport entre la majorité et la minorité doit être repensé»

La sociologue Micheline Labelle revient sur les débats autour du port du niqab au Québec. La complexité des clivages sur cette question fait alors apparaître «minorité» et «majorité» comme des catégories réductrices. 

Pourquoi selon vous les catégories de minorités et de majorité sont-elles inefficaces pour penser le vivre-ensemble au sein d'un État-nation et sont-elles donc à revoir?

Ce n’est pas qu’elles sont inefficaces, mais elles ont des limites : on confond souvent majorité numérique ou démographique avec majorité dominante, et minorité démographique avec minorité dominée. Il y a donc lieu de préciser de quoi l’on parle. S’agit-il de majorité démographique ou de majorité sociologique ? Dans certains cas, l’analyse en termes de rapport majorité/minorités a toute sa pertinence. C’était le cas en Afrique du Sud, alors que la majorité démographique des Bantous, soumis à l’apartheid, constituait en fait une minorité sociologique.

La définition classique de la minorité produite par Louis Wirth se posait dans un contexte où les esclaves africains et leurs descendants ont été soumis à une discrimination et à une ségrégation historique dont on observe les conséquences actuelles 1. Elle s’appliquait bien au cas des minorités coloniales présentes sur le territoire américain. Mais les minorités numériques issues de l’immigration volontaire correspondent-elles toutes à cette définition ? Ou encore sont-elles des blocs homogènes ? Et la majorité est-elle uniforme ? À ces questions, je réponds qu’il faut tenir compte des modes d’incorporation différenciés, des rapports de classe, des alliances et des convergences...

 

Donc, selon vous, le rapport majorité/minorités varie selon les contextes et il faut le penser différemment ?

C’est le cas au Canada. Le Québec est reconnu comme nation et constitue une minorité nationale au sein de la fédération canadienne, historiquement conquise et historiquement dominée. Et sur le territoire du Québec vivent onze nations autochtones et inuits. Cette complexité exige une approche particulière. On peut aussi penser au cas catalan : une nation minoritaire dans l’ensemble espagnol qui souhaite son indépendance, comme le veut aussi une forte proportion de Québécois. Ce type de minorités nationales n’a rien à voir, sur les plans économique et politique, avec la situation des Afro-Américains ou des Maghrébins vivant dans les banlieues françaises défavorisées. Par exemple, les débats sur la laïcité et le port des signes religieux préoccupent nos sociétés. Si l’on présente ces débats comme relevant uniquement de positions campées en termes de majorité/minorités, on fait fausse route.