L’hypnose ericksonienne, on connaît : plusieurs instituts de formation, de centres de soins s’en réclamant, ont pignon sur rue en France et dans le monde aujourd’hui pour développer une approche thérapeutique spécifique. Mais qui se cache derrière elle ? Elle nous vient des États-Unis et du médecin peu ordinaire Milton Erickson, qui lui a donné son nom. Le parcours tout aussi extraordinaire de l’homme explique bien des aspects de son travail original qui remet le patient, comme individu unique, au cœur de la stratégie de soin.
Une jeunesse exceptionnelle
Rien ne destine Milton Erickson à la médecine et à une renommée internationale. Il naît en 1901 à Aurum dans le Nevada, où ses parents sont installés dans une petite communauté minière. Le logement modeste tient de la simple cabane : « Trois côtés étaient en rondins, le quatrième étant la montagne », racontera-t-il. Il manifeste très tôt sa différence. Il est daltonien et amusique, incapable de saisir les couleurs et les rythmes comme le font tous les autres. Déjà, il est sensibilisé à la relativité des perceptions du monde : cela sera déterminant pour lui. La famille déménage dans le Wisconsin et achète une ferme où les neuf enfants participent aux travaux des champs. À l’école, le petit Milton se révèle hautement dyslexique, les apprentissages sont pénibles, mais ce n’est pas tout. Il contracte la poliomyélite à 17 ans. Il souffre, et alors qu’il entend les médecins annoncer sa mort prochaine, il demande que son lit soit placé face à la fenêtre pour voir le soleil se coucher une dernière fois. C’est là qu’il connaîtra sa première expérience d’hypnose, spontanément face au brasier descendant. Plus rien n’existe autour, l’arbre au-dehors et le cadre de la chambre disparaissent. Milton sombre dans un coma dont il revient totalement paralysé, mais pour vivre, finalement.
Au fil des mois, il développe un sens aigu de l’attention et se réapproprie les perceptions sensorielles. Ne pouvant qu’être observateur de la vie autour de lui, il prend conscience du langage du corps des êtres qui l’entourent, et qui trahit souvent celui des mots : il voit ses sœurs affirmer une chose et en signifier une autre par leur posture, leur mouvement, le timbre de la voix. Il se met à chercher aussi au plus profond de ses sens et de sa conscience, à situer les membres de son corps qu’il ne percevait plus. Sur un fauteuil à bascule où il se trouve totalement immobilisé par la maladie, il se concentre un jour mentalement de toutes ses forces sur la fenêtre vers laquelle il voudrait désespérément s’approcher. Et le fauteuil bouge. Mais pas de miracle pour le malade, seulement l’intuition que les représentations mentales peuvent induire des mécanismes musculaires très profonds et automatiques. De même, il regarde sa plus jeune sœur apprendre à marcher, et il réincorpore, au sens propre du terme, les mécanismes de la marche. Au bout de deux ans, le jeune Erickson récupère ainsi un peu de mobilité et il remarche sur béquilles, mais il sait qu’il ne sera jamais fermier. Qu’à cela ne tienne, il décide de devenir médecin. Pour compléter sa rééducation, il se lance aussi un autre défit : parcourir 1 200 miles en canoë en partant avec quelques dollars en poche. Sa volonté est infinie et il revient sans béquilles, en portant son canoë sur son dos. Il garde malgré tout des séquelles, il boite, mais rien ne l’arrête.