«Mon analyse avec Dolto» Entretien avec Sabine Gritt

Voici plus de soixante ans, Sabine Gritt a mené une analyse avec Françoise Dolto, alors complètement inconnue, et qui s’occupait d’adultes. Son témoignage nous présente Dolto avant Dolto…

En 1952, comment avez-vous été amenée à consulter auprès de Françoise Dolto, vous qui ne connaissiez pas la psychanalyse ?

En effet, je n’avais jamais entendu parler de psychanalyse avant de rencontrer l’homme que j’ai épousé qui, lui, en avait fait l’expérience. Il en parlait quelquefois, montrant apparemment une grande connaissance de Freud et surtout des praticiens qui exerçaient à Paris. À l’entendre, lui-même s’y était fourvoyé mais mon cas, d’après lui, en relevait à l’évidence. Je ne comprenais pas pourquoi ni comment. Immature et crédule, je m’en remettais à lui pour tout comme à un gourou. J’aimais l’idée de m’allonger sur un divan et de dire tout ce qui me passait par la tête à un spécialiste qui saurait l’interpréter. En réalité, mon mari était un bluffeur pathologique, un manipulateur, beaucoup plus atteint que moi qui étais seulement inhibée par l’anxiété. Le choix de Françoise Dolto s’est fait parce que, peu connue alors, elle n’était pas trop chère et sans liste d’attente.

Comment était-elle durant les séances ? Bienveillante, perspicace, prolixe ?

Elle était assise derrière le divan et je ne la voyais pas mais je l’ai toujours sentie attentive, même quand elle laissait s’installer les traditionnels silences. Je savais si j’intéressais par la fécondité avec laquelle le stylo courait sur son cahier de notes, mais son intérêt correspondait rarement au mien.

Contrairement aux analystes classiques elle intervenait assez souvent, et d’une manière affirmée, plutôt en psychothérapeute.

À l’époque, vous auriez aimé avoir Françoise Dolto pour mère, précisément parce qu’elle était le contraire de la vôtre. Vous regrettiez de ne rien lui apporter, de ne pas avoir de contacts plus étroits avec elle… Que pensait-elle d’un tel transfert ?

Justement, le transfert (au sens freudien) ne s’est jamais fait. Oui, j’aurais aimé avoir une mère comme elle, intelligente, cultivée, déterminée. Alors que la mienne était effacée, flottante et presque inexistante. Sa personne me sécurisait et avoir une vraie relation avec elle m’aurait encouragée. Quand je lui fis part de ce souhait, la réponse qu’elle me fit, strictement psychanalytique : « Vous me donnez de l’argent », m’a glacée. C’est alors que j’ai fait sur elle un transfert de gouvernante, son attitude me rappelant les nurses rémunérées que j’avais eues à la maison. Ce que j’ai appelé : l’amour « mercenaire ». Cette découverte que j’avais faite, importante pour moi, n’a pas provoqué de commentaire de sa part.

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Comment et pourquoi vous a-t-elle qualifiée de « fœtus mal léché », expression que vous avez reprise comme titre de votre ouvrage ?

C’est très récemment, en lisant son œuvre, que j’ai cru comprendre ce qu’elle avait pu dire par là. C’était lié à sa philosophie très originale, à base de freudo-christianisme qu’elle explicite dans divers ouvrages : dès la conception, l’être de langage (émanation du Verbe divin), c’est-à-dire l’humain, est sujet de son désir de naître, et l’état de fœtus n’est qu’une étape dans ce processus. Sur le moment, surtout parce que j’ai senti pour la première fois un peu de compassion dans le ton, j’ai compris, sous le trait forcé, qu’elle avait saisi mon vrai problème : une immaturité abyssale.