Nicolas Caritat de Condorcet (1743-1794) Le testament des Lumières

Dernier des physiocrates ou premier des positivistes, Condorcet fut en tout cas un ardent défenseur des Lumières et un précurseur des sciences sociales appliquées.

A-t-il succombé sous les coups de ses gardiens ? S’est-il empoisonné pour échapper à la guillotine ? Ou pour ne pas livrer le nom de la généreuse amie qui l’avait hébergé pendant de longues semaines ? Toujours est-il que la mort de Nicolas Caritat de Condorcet fut celle d’un martyr de la Révolution française. Arrêté le 27 mars 1794 après une cavale de six mois et une condamnation pour avoir osé critiquer la nouvelle constitution concoctée par les Jacobins, il est retrouvé sans vie dans sa cellule le lendemain. Pourtant, Condorcet est tout sauf un ennemi de la Révolution. Né en 1743 d’un militaire de petite noblesse, il grandit dans un milieu bourgeois de Picardie, puis à Reims et à Paris. À 16 ans, il est un mathématicien remarquable et, à 20, d’Alembert le prend sous sa protection, l’introduisant dans le milieu des savants et des esprits forts : Claude Helvétius, le baron d’Holbach, Voltaire. Condorcet publie en 1765 une étude de calcul intégral qui lui vaut l’estime de ses pairs.

Un girondin bon teint

En 1769, après quelques éloges posthumes, il entre à l’Académie des sciences. Lorsque Turgot, qui est son ami, est appelé au service de Louis XVI, Condorcet est aussitôt nommé inspecteur général des Monnaies. Lorsque Turgot est congédié (1776), lui aussi. Il revient donc aux mathématiques mais l’actualité l’appelle à d’autres tâches : à partir de 1781, Condorcet s’engage en politique et publie des textes en faveur de l’égalité des sexes, de l’abolition de l’esclavage, de la révolution américaine et contre la religion. Il collabore à l’Encyclopédie et rédige une vie de Turgot. En dépit de son engagement, il est un peu pris de court par la révolution de 1789. Le temps de se retourner, le voilà élu député à l’Assemblée législative, devant laquelle, en 1792, il fait un mémorable rapport sur l’instruction publique : laïque, gratuite et ouverte à tous, l’école qu’il préconise sera celle de Jules Ferry mais un siècle plus tôt. Républicain, Condorcet l’est sans ambiguïté : il vote sans état d’âme l’abolition de la monarchie, l’entrée en guerre contre l’Autriche et milite pour le suffrage universel. Il est contre la mort du roi, mais il n’est pas le seul. Idéologiquement, il est libéral, c’est-à-dire un girondin dans le vocabulaire de l’époque. C’est surtout un bourgeois et un savant : Condorcet apprécie peu les interventions directes du peuple car la politique est à ses yeux une science et le peuple en manque (d’où son projet éducatif). C’est ce même peuple qui, le 2 juin 1793, donne aux robespierristes le pouvoir absolu et exige l’arrestation des chefs girondins : Condorcet proteste, c’est le début de la fin. Depuis le mois de février, il est en désaccord avec les Jacobins sur le projet de constitution. Il défend un système d’assemblées populaires qui recueillerait pacifiquement l’opinion publique. Les Jacobins préfèrent les minorités actives et le peuple en armes. Le 8 juillet, Condorcet est déclaré d’arrestation : il fuit, se cache pendant plusieurs mois à Paris chez Madame Vernet et entame un testament intellectuel, un Tableau historique des progrès de l’esprit humain, dont il ne rédigera que l’esquisse. C’est son texte philosophique le plus développé, qui sera publié en 1795, après sa mort et après celle de Robespierre.