Nicole Landry-Dattée : Il faut dire aux enfants la vérité sur sa maladie

L’arrivée brutale d’une maladie grave est un choc, et l’annoncer à ses enfants paraît impossible. Les protéger à tout prix semble la seule urgence. Or, le non-dit, le silence, voire le mensonge, sont les pires ennemis de la santé psychique de l’enfant. La psychanalyste Nicole Landry-Dattée nous révèle pourquoi la vérité doit primer quand la maladie et l’idée de la mort s’invitent dans la vie familiale.

Nicole Landry-Dattée est psychanalyste à l’Unité de Psycho-oncologie de l’Institut Gustave Roussy. Co-auteure, avec Marie-France Delaigue-Cosset, de Ces enfants qui vivent le cancer d’un parent (Vuibert, 2005), elle travaille auprès de parents atteints de cancers, leurs conjoints et leurs enfants. Elle co-anime également des groupes de paroles parents-enfants pour améliorer la communication familiale autour de la maladie.

L’annonce d’une maladie grave est un choc. Quelles sont les premières réactions des parents concernés vis-à-vis de leurs enfants ?

Ce que vont devenir les enfants sans eux, mais aussi le fait qu’ils ne les verront peut-être pas grandir, et surtout qu’ils ne pourront pas les mener là où ils le souhaitaient : ces questions se bousculent dans l’esprit des malades. Ils en viennent ensuite à se demander s’ils doivent dire ou pas ce qui leur arrive à leurs enfants. Et là, il faut vraiment un temps de réflexion pour avoir un comportement adapté. A l’annonce de la maladie, la pensée est d’abord sidérée, totalement envahie par l’angoisse, comme dans tous les chocs émotionnels forts. Il est impossible, dans cet état, de réfléchir, de peser le pour et le contre. Avant de parler à l’enfant, il faut aux parents le temps de digérer les choses eux-mêmes, d’amortir le choc.

C’est à ce moment que vous intervenez ?

En général, non, pas au moment de l’annonce du diagnostic. A ce stade, le psy n’intervient que si le patient le demande ou si nous constatons que le patient a une attitude très pathologique. Ce n’est pas forcément le moment de voir un psy. C’est davantage celui de la solidarité familiale et amicale, d’être entouré des siens. Parce que nous connaissons bien cet état de sidération et ses effets immédiats, nous recommandons d’ailleurs aux patients de venir consulter avec une personne qui sera témoin de ce qui va être dit. C’est essentiel, parce que la personne malade est tellement sidérée qu’elle n’entend plus quoi que ce soit. Nous voyons les patients un peu plus tard, quand ils ont commencé à intégrer ce qui leur arrivait ou juste avant leur premier traitement.

Vous dites qu’il faut dire la vérité aux enfants. N’est-ce pas antinomique avec le désir bien naturel de les protéger ?

Le premier instinct est bien sûr de vouloir protéger ses enfants, donc de ne pas leur annoncer la maladie. Mais quand on ne leur dit rien, on fait tout sauf les protéger, on fait même exactement le contraire de ce que l’on voudrait faire ! Paradoxalement, c’est le désir de protéger son enfant qui creuse le fossé avec l’adulte malade ou son conjoint. Le non-dit succède aux paroles fluides de la veille, mur de silence que l’enfant ne peut ni comprendre ni accepter. Si on ne dit rien, on ne fait qu’augmenter son angoisse, une angoisse diffuse mais bien présente, sur laquelle il ne peut mettre aucune explication alors qu’il sent qu’il se passe des choses. Et il faut savoir que ce que l’enfant imagine est toujours pire que la réalité. Et puis il y a aussi une question de confiance : quand l’enfant sent qu’on lui cache les choses, il perd confiance dans les adultes. Or, c’est sur cette confiance qu’il se construit. Lorsqu’elle est rompue, cela peut avoir des effets délétères à long terme, aller jusqu’à des dépressions graves, des troubles sévères du comportement, des somatisations importantes. Quand on a dit à l’enfant qu’il n’y avait rien, qu’il ne se passait rien et qu’il découvre finalement le mensonge, tout s’effondre. Imaginez l’effet que peut avoir ce type de mensonges sur un enfant à qui l’on aurait dit, par exemple, que son papa était en voyages d’affaires et qui découvre finalement, parce que l’on ne peut plus lui mentir, que son papa est à l’hôpital et qu’il n’en a plus pour longtemps à vivre. Et puis c’est à double sens : ne rien lui dire, ça n’est pas le confirmer dans ce qu’il peut ressentir de juste en lui-même. Lui dire est au contraire lui confirmer que ce qu’il ressent est juste, qu’il se passe bien quelque chose, qu’il peut se faire confiance, ce qui est essentiel à son autonomie future. On le met en situation de grandir. Plus on laisse un enfant à l’écart, plus il se sent impuissant et plus il l’est, en effet !