Nord-Sud : une image littéraire léguée aux géographes

« La Méditerranée a éclairé nos origines, mais c'est dans le Nord que s'est formé l'Etat français. » Ainsi écrivait Paul Vidal de la Blache en 1903, illustrant un des leitmotive de la géographie humaine française : l'opposition d'un Nord et d'un Sud prototypiques, dont la rencontre permettrait de comprendre la diversité de la civilisation française.

Cette thématique de la dualité a connu un succès extraordinaire auprès des historiens et des géographes, déjà relevé par Emmanuel Leroy-Ladurie en 1997 (dans Les Lieux de mémoire, ouvrage dirigé par Pierre Nora, Gallimard, 3 vol.). Toutefois, selon Yvon Le Scanff, ce schème possède des racines anciennes et profondes. On le voit apparaître dans les écrits du XVIIIe siècle sur les climats (Montesquieu, puis Madame de Staël), puis il s'épanouit à l'âge romantique (Senancourt, Stendhal, Michelet, Lamartine, Hugo), prenant la forme d'une opposition caractérielle : enthousiasme et activité au Nord, sensibilité et insouciance au Sud. Du fait de la celtomanie, l'identité française a tendance à être recalée vers le Nord, mais aussi présentée comme la synthèse des deux tempéraments. Volontiers oblique (Bourgogne-Poitou), la césure Nord-Sud varie tout de même selon les auteurs. Elle fonctionne aussi de manière mobile : il y a une Bretagne du sud et une Bretagne du nord, Lyon est un centre méridional placé au Nord, il y a des paysages nordiques au Sud, des paysages méridionaux au Nord.

Bref, le Nord et le Sud deviennent des quasi-concepts morphologiques, caractérologiques, culturels, permettant d'analyser toutes les nuances de la réalité française. Rentrant dans ce qu'on appelle le « mythe de la France duelle », ce binôme Nord-Sud est, selon Y. Le Scanff, « un des régimes imaginaires les plus fréquemment mobilisés par les géographes français ».