On a testé pour vous... créer des podcasts avec des psys

Le rédac chef a réalisé des dizaines d’interviews de psys à écouter en ligne ou à télécharger. Des auteurs parlent de leurs livres en long, en large et en travers, et il ouvre ses deux oreilles.

Un « podcast d’interviews » Consigner ces mots relève du crève-cœur pour un amoureux de la langue française, mais évoquer un « balado d’entretiens » m’écorcherait tout autant les ouïes. L’essentiel (à supposer qu’il y en ait dans mes facéties) n’est pas là. Dans un pays où Laurent Gerra, Nicolas Canteloup et les Grosses têtes figurent parmi les podcasts audio les plus téléchargés, pourquoi diable tenter l’aventure, la fleur au fusil mais avec l’assurance d’une audience confidentielle ?

Au commencement était la frustration

D’abord parce qu’au fil de toutes ces années (combien, d’ailleurs ? 23 ? 25 ? Bientôt 30 ? Ah non : 10) passées à interviewer des psys par téléphone, je me suis souvent pris à regretter, en raccrochant, de ne pouvoir diffuser les enregistrements. Avec une simple retranscription, on perdait parfois beaucoup de choses : du contenu, d’abord (parce qu’un entretien d’une heure devait être réduit à un certain volume, le plus souvent 14 000 signes pour le Cercle Psy), mais aussi les intonations, l’émotion, les hésitations, les bafouillements aux moments critiques. Par écrit, l’entretien gagnait en concision ce qu’il perdait en humanité. Il était partiellement formaté, alors que chaque interlocuteur est unique. C’était comme priver les lecteurs d’une partie du rendez-vous.

D’autre part, j’avais souvent l’impression de ne mener à bien qu’une partie de mon travail. Je recevais des livres tous les jours et beaucoup passaient à la trappe par faute de place dans un trimestriel, ou parce qu’ils ne cadraient pas avec la ligne éditoriale. Parfois aussi parce que, peut-être, ils n’auraient intéressé que moi. À défaut d’interviews, des comptes rendus de 2 000 signes ne suffisaient pas, à mon sens, à rattraper cette injustice. Puisque je manquais de place à l’écrit, autant franchir une dimension supplémentaire avec l’oral. Et en impliquant les auteurs, qui seraient trop heureux, en toute logique, d’extraire eux-mêmes la substantifique moelle de l’ouvrage sur lequel ils ont sué sang et eau. Il arrive un moment où les livres, c’est bien, mais ceux qui les écrivent, c’est incomparable.

J’ai d’abord envisagé de procéder sous forme de vidéo. Je comptais interroger les psys par Skype, chez eux ou à leur bureau, afin qu’on puisse apprécier leur environnement au passage et qu’on se trouve au plus près de leurs mimiques, de leur sourire. Mais j’ai vite déchanté. Quelques attachées de presse m’ont prévenu que la chose ne serait pas facile, que bon nombre d’entre eux ne voudraient pas se montrer, et que davantage encore se verraient incapables d’utiliser Skype. L’expérience a vite montré qu’elles avaient trop souvent raison. (J’ai même connu une psychologue spécialiste des rapports des enfants au numérique, qui devait faire appel au responsable informatique de son université pour ouvrir un PDF. Sic.) L’autre problème des vidéos, c’est que par définition elles obligent le spectateur à rester assis devant un plan séquence sur un écran d’ordi. Or moi-même, je ne le fais pas. Pourquoi l’infliger aux autres ? L’audio seul semblait s’imposer. Les psys ont beau se montrer parfois timorés ou capricieux, je n’en ai encore rencontré aucun qui refuse de décrocher un téléphone… Et puis à une certaine époque, j’écoutais moi-même quelques podcasts américains de développement personnel ou de psychologie (Tim Ferriss, James Altucher, Jeff Goins…), sans compter quelques podcasts consacrés… aux podcasts (The Audacity to Podcast, Podcast Answer Man…). Jeff Brown, dans Read to lead, interrogeait directement des auteurs un peu comme j’aurais aimé le faire. J’étais dans le bain.

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Émission d’une anti-émission

Autre argument, né de la frustration là encore : mon insatisfaction après des émissions de radio. Les rares fois où j’y participe, quelle que soit la qualité du programme ou de l’animateur, j’ai impression de n’avoir rien dit. Entre les autres invités, les pubs, les chroniqueurs, les chansons, la nécessité absolue de faire mouche en quelques secondes quitte à simplifier sa pensée, voire ne pas même prendre le temps de la réflexion, en prenant garde au moindre mot de travers qui pourrait vous valoir une opprobre instantanée, généralisée et sans retour, je trouvais mes interventions inutiles, quand bien même je parvenais à en éprouver de plus en plus de plaisir. Je me suis donc pris à rêver d’un podcast qui constituerait une anti-émission de radio. L’invité prendrait tout le temps nécessaire pour aller au fond des choses, sans se voir interrompu ni mis en danger. Il s’agirait juste d’une personne qui en interroge une autre, de bonne foi, pour essayer de la comprendre.

Ce qui m’a tout à fait décidé à franchir le pas, ce furent les attentats de 2015 et 2016. Là, j’ai eu personnellement besoin d’une bulle d’oxygène, d’un espace bien à moi où pourraient peut-être éclore quelques petites graines d’intelligence, d’ouverture d’esprit, de curiosité, d’amour de l’existence et de confiance en soi et en l’avenir. Mon parti pris était de ne pas me limiter à la psychologie au sens strict, mais de m’autoriser toutes sortes d’incursions dans le développement personnel et même d’écouter le témoignage de personnes qui ont changé de vie, qui ont réussi à s’en sortir, qui analysent leur parcours. Le podcast se voudrait donc explicitement consacré « à la psychologie, au développement personnel et au changement de vie ».

Quel était l’obstacle ? La technique, évidemment. Il me fallait du matériel, un site personnel, et je n’y connaissais rien. Or il existe deux façons de formuler le fait qu’on n’y connaisse rien. On peut dire : « Pas la peine, je suis nul. » Ou bien : « J’ai tout à apprendre. » En ce qui me concerne, je trouve la deuxième option beaucoup plus excitante. J’ai donc tout appris. En tout cas, ce qu’il fallait pour démarrer. Car l’une des grandes leçons que j’ai tirées de mon écoute de podcasts, c’était bien de ne pas attendre la perfection avant de me lancer. Ni dans ce projet, ni dans aucun autre. J’ai donc appris à construire un site, pas renversant mais suffisamment correct pour constituer une tête de gondole. Il me servirait à la fois de carte d’identité virtuelle et de centralisateur de podcasts. J’ai appris comment les héberger sur une plate-forme indépendante de mon site, en ne conservant sur celui-ci que les liens vers les fichiers audio. J’ai appris comment me faire répertorier sur iTunes. J’ai installé en quelques secondes un logiciel destiné à enregistrer les conversations téléphoniques passées avec Skype. Je me suis aidé pour tout cela de quelques ebooks et surtout d’un tutoriel en plusieurs épisodes postés sur YouTube par un podcasteur, Pat Flynn. Le webmsaster de Sciences Humaines m’a donné un coup de main providentiel au moment où je m’enlisais dans les protocoles FTP de mon hébergeur. (Aujourd’hui encore je n’y comprends rien, et ne parviens pas à m’y intéresser. On est vieux ou on ne l’est pas !). J’ai improvisé un logo en quelques minutes parce que j’avais hâte de me lancer. Pour le générique enfin, j’ai appris à faire du montage audio, j’ai choisi un court extrait d’un film de Sacha Guitry, Mon père avait raison, et la partie instrumentale d’une chanson de Mistinguett, Il m’a vue nue. Là, je n’ai pas voulu faire de l’anti-radio mais de l’anti-podcast américain, dont tous les génériques se ressemblent, à base de simili rock FM des années 80.