Alors, me demande ma femme, quel effet ça te fait d’aller à ce stage ?
– Ça me fait rien du tout. »
Eh oui. Si tout va bien, je vais apprendre à laisser ma main rédiger toute seule, sans que je ne l’influence, des choses cohérentes. Je vais pouvoir dialoguer avec mon inconscient, lui poser des questions auxquelles il répondra par écrit sans contrôle de ma part. Et ça me laisse froid. Je n’attends rien de précis, ni réussite, ni échec : je suis disposé à prendre tout ce qui se présentera. Pour le premier article de cette rubrique Autopsy (voir le Cercle Psy précédent), lorsque je me suis retrouvé à hypnotiser une quinzaine d’inconnus devant l’opéra Bastille ou le centre Pompidou, c’était tout à fait autre chose. Je n’avais pas hypnotisé depuis trente ans, c’était une façon pour moi de boucler la boucle et d’ouvrir une nouvelle page vierge. L’écriture automatique, rien à voir, c’est de l’inédit. Même si, en cherchant bien, elle fait également écho à quelques thèmes personnels. J’ai été nègre, naguère, j’écrivais des livres que d’autres signaient. J’ai aussi commis pas mal de romans, non publiés : le premier, qui me tient particulièrement à cœur, racontait l’histoire d’un écrivain célèbre prenant peu à peu conscience qu’il n’était pas l’auteur de ses livres. La perspective que ma main échappe à la volonté pour vivre sa vie avec une plume ne manque donc pas de piquant. Milton Erickson racontait comment il trouvait parfois le matin, sur son bureau, des articles écrits à son insu, la nuit, en état somnambulique. Je ne sais pas ce qu’ils valaient exactement, mais ce serait fantastique qu’il m’arrive la même chose. Que de temps gagné ! Et après tout, certains de mes textes ne pourraient pas être pires (nooooon, je blague !). Voilà, je suis curieux, c’est tout. Il n’y a pas plus d’enjeu que ça.
Méditation n’est point Marmion
« Tu devrais peut-être essayer d’autres sujets pour ta rubrique, alors, reprend ma femme. La méditation, par exemple ; On en parle partout, ce serait pas mal que tu nous dises ce qu’il en est. »
Ô ma lumière, ô ma vraie vie, toi dont je suis toujours les avis précieux, pour une fois tu te fourres le doigt dans ton œil bleu (le gauche ou le droit, que nous importe). La méditation, non. Qu’on l’évoque à l’occasion dans le Cercle Psy, d’accord, évidemment, mais que je m’y frotte moi-même, par pitié, non et non. Ce n’est clairement pas pour moi.
Pour l’heure, chaque chose en son temps. Me voici dès potron-minet avalant goulûment un pain au chocolat dans le salon d’un hôtel toulousain. J’y ai retrouvé Jean-Emmanuel Combe, celui-là même qui m’a appris à hypnotiser dans la rue. Au programme, deux journées d’« hypnose expérimentale », dont l’écriture automatique constitue le gros morceau.
Parmi les autres stagiaires, plusieurs avouent, comme moi, être venus « par curiosité ». Il y a là notamment un formateur en hypnose qui n’arrive pas à se lâcher suffisamment à son goût, un autre qui explique exercer « ce qu’il croit être de l’hypnose », sans compter une femme médecin généraliste qui, depuis une séance d’hypnose voici dix ans, sent son pied bouger machinalement en permanence. Une anesthésiste est là sans même savoir de quoi il s’agit, mais assure être présente « en toute confiance ». « Amuse-toi, ce sera déjà bien », répond Manu. Je suis le seul à mentionner mon intérêt pour l’écriture automatique proprement dite.
Jean-Emmanuel raconte alors que bien que son image médiatique soit celle de l’hypnotiseur de rue, cette activité n’est pour lui que la partie émergée de l’iceberg. Il travaille également avec des anesthésistes, intervient dans des cliniques privées, enseigne dans un DU, assure le suivi thérapeutique de certaines personnes. Contrairement à la formation précédente, il insiste sur le temps nécessaire pour une expérimentation digne de ce nom. Et il nous avertit : « L’hypnose profonde favorise la reconnexion aux émotions. Il peut s’agir de poubelles émotionnelles qui se vident, ou de fous rires, de larmes. Il va falloir faire preuve de bienveillance et d’acceptation vis-à-vis de ça, ça fait partie du jeu. Oui, il y en a parmi vous qui vont pleurer. Et alors ? Lâcher, c’est lâcher des émotions. Si vous voulez aller loin, il faudra en passer par là. »
S’ensuit une partie théorique. Manu serait peut-être marri que je déflore tout le contenu de son stage, mais en substance, il nous présente une modélisation personnelle empruntant, avec déférence, aussi bien à Milton Erickson qu’à Pierre Janet.
Tout d’abord, Erickson distinguait les transes communes de la vie quotidienne (« hypnose de l’autoroute », absorption dans un livre, et qui en réalité n’auraient rien à voir avec l’hypnose) et les transes stuporeuses, c’est-à-dire les phénomènes les plus fréquemment obtenus en hypnose de rue : catalepsie, séquences idéomotrices, relaxation profonde. Lesdites transes stuporeuses servent ordinairement de prélude (sans être nécessaires) aux transes somnambuliques, qui marquent l’état hypnotique proprement dit, avec abolition du sens critique et amnésie spontanée.
Un état propice à l’expression de l’inconscient
De son côté, Janet différenciait personnalité première et personnalité secondaire, P1 et P2 en abrégé dans le présent stage. P1 est notre moi ordinaire, tandis que P2, qui ne s’exprime pas en temps normal, se compose d’automatismes liés à nos mémoires, notre vécu, depuis la respiration jusqu’à nos émotions. Suivant le principe des vases communicants, ce que P1 perd, P2 le gagne, et inversement. Plus nous entrons dans ce qu’Erickson qualifie de transe somnambulique, plus P1 se désagrège, s’affaiblit, s’éteint, et plus P2 s’agrège, prend de la consistance, de la constance, de la personnalité, s’éveille, se développe, outrepasse ses automatismes, éclipse (provisoirement) P1. Et pour agréger P2, rien de tel que de lui poser des questions pour le laisser prendre le caractère qui nous fera le plus de bien. C’est la communication qui le renforce. Ce brave P2 peut réapparaître à chaque nouvelle transe, reprenant la conversation où elle en était restée. C’est lui qui, à défaut de s’emparer de notre corps entier, peut à tout le moins s’exprimer par notre main durant l’écriture automatique.