Mon premier psy, c’était pour me faire réformer. Pour rien au monde je n’aurais accompli mon service militaire. Un copain m’avait parlé d’un psychologue prêt à délivrer un certificat de complaisance à condition que, pour sauver les apparences, nous prenions plusieurs fois rendez-vous. Alors voilà, je l’ai vu un peu, le monsieur, mais comme je n’avais pas envie de lui raconter quoi que ce soit, c’est lui qui parlait. De Miles Davis surtout…
CHASSE D’EAU A L’HORIZON
Le jour J, vu mes résultats pas trop déshonorants aux tests, l’armée m’a proposé d’intégrer directement une école d’officiers. Comme je leur avais signalé que je consommais de la drogue, ils m’ont tout de même envoyé devant un psychiatre. Je ne consommais rien du tout, mais j’avais espéré que ce serait retenu contre moi. Bingo. À présent, il fallait jouer serré : on m’avait raconté l’histoire d’un appelé qui s’était fait réformer à force de tirer la chasse d’eau tous les quarts d’heure. C’était soi-disant plus fort que lui, au bout de 13 ou 14 minutes il courait partout pour trouver des toilettes libres et les réquisitionner afin d’être absolument certain de tirer la chasse au bon moment. L’erreur qu’il avait commise, c’est que dans le train qui le ramenait chez lui il avait cessé son petit manège, comme par hasard : pas de compulsion dans ce contexte. Un gradé qui l’espionnait l’avait alors cueilli. Pour ma part, j’ai joué l’illuminé avec le plus de subtilité possible, c’est-à-dire en feignant de vouloir dissimuler mon grain de folie. Quand j’ai vu un gros voile d’inquiétude obscurcir les yeux du psy, j’ai dégainé mon certificat attestant que je souffrais d’un trouble de la personnalité schizoïde. Réformé ! Adieu l’école d’officiers. Avec du recul, je me dis que c’est dommage, j’aurais dû m’y inscrire, ça m’aurait fait un bien fou. Comme on change, n’est-ce pas…
Mon deuxième psy fut une femme. Un généraliste m’avait incité à la solliciter. Je crois qu’il me trouvait bizarre. Moi, c’était les gens comme lui que je trouvais incompréhensibles, mais soit. Dans un service dédié aux étudiants, une dame me reçut avec un grand sourire qui me laissa de glace. Elle me montra un bouquet de jonquilles sur son bureau : « Regardez ces jolies fleurs… » Je me souviens de ma réponse onomatopéique du genre « Meuh… » La dame s’est ratatinée dans son fauteuil. Rien de plus n’est sorti de la séance. Au deuxième rendez-vous, il est arrivé le pire pour un patient : elle m’a oublié. J’ai poireauté dans la salle d’attente pendant que je l’entendais hurler de rire en échangeant des blagounettes piteuses avec ses confrères. J’ai pris mes cliques et mes claques, et ne suis jamais revenu. Elle ne m’a pas rappelé, d’ailleurs.
Ma troisième psy, c’était pour m’essuyer les pieds avant d’entrer dans ma nouvelle vie. À la trentaine, j’avais méticuleusement déconstruit mon existence sur tous les plans. Quelques semaines avant mon déménagement qui me permettait de tout reprendre à zéro, j’ai eu l’idée de voir quelqu’un pour m’assurer que, derrière moi, tout serait bien liquidé. J’ai suivi quelques séances ronronnantes bordéliques en compagnie d’une freudienne. Il n’en est rien sorti, si ce n’est par ricochet : quelqu’un de très proche de moi m’a avoué un secret de famille. Intéressant, pour la personne concernée, cette thérapie par procuration… Pas pour moi.
Pour la présente rubrique Autopsy, où je teste de manière tout à fait subjective certains des aspects les plus folkloriques de la psychologie, il est normal que je finisse par suivre une thérapie… Mais se présentent deux écueils :
D’abord, à mon sens, les séances ne seraient pas représentatives. Il faudrait en effet que je dissimule mon véritable objectif (écrire un article), ou au contraire que je le révèle, ce qui fausserait sans doute le comportement du psy. Dans tous les cas, l’alliance thérapeutique serait bancale. Tout cela pour un nombre limité de séances, ce qui exclurait d’emblée certaines prises en charge. Ensuite… une thérapie pour soigner quoi ? Je n’en ai PAS la MOINDRE idée. Pourquoi ne pas découvrir au fil de la thérapie en quoi je pourrais aller mieux ? Auprès d’un thérapeute que je serais absolument certain de ne pas blesser dans mon article en cas de fiasco ? Un robot… Un chatbot, un algorithme… Pourquoi pas Eliza, le grand ancêtre quinquagénaire des thérapeutes virtuels ? Tout le monde sur le pont ! Cap sur https://www.cyberpsych.org/eliza !
ELIZA, CHERCHE-MOI DES POUX
Moi qui me déconnecte désormais le plus possible (voir l’Autopsy du Cercle Psy n° 27), me voici pourtant sur l’interface d’Éliza. On peut difficilement faire plus sobre. Comment l’aborder, la tester, me rassurer en vérifiant que je peux la faire tourner en bourrique, cette chimère mathématique ? Eh bien, révisons nos classiques avec Sympathy for the devil, des Stones : « Please allow me to introduce myself, I’m a man of wealth and taste… » Comment va réagir cette brave Eliza si j’égrène, imperturbable, les paroles de la chanson ?
Eliza : Bonjour, parlons.
Moi : Je vous en prie, permettez-moi de me présenter.
Peut-on parler de vos problèmes ?
Je suis un homme fortuné, et de bon goût.
Depuis combien de temps êtes-vous un homme fortuné, et de bon goût ?
Je traîne dans le coin depuis de longues, longues années, ravissant leur âme et leur foi à bien des hommes…
Pouvez-vous développer ?
J’étais là quand Jésus-Christ a connu son moment de doute et de souffrance. Je me suis assuré que Pilate scelle son sort en se lavant les mains.
Vous avez souvent ce genre de pensées ?
Enchanté de faire votre connaissance.
Oh ?…