Depuis les années 1990 dans les pays anglo-saxons, et plus récemment en France, le paysage de la santé mentale est bouleversé : les associations de patients et de familles se font reconnaître, les langues se délient, les échanges entre pairs et le soutien mutuel se développent dans des proportions inédites grâce à Internet, les livres de témoignage se multiplient.
En a-t-on pour autant fini avec les stéréotypes sur les troubles mentaux et la fréquente stigmatisation des malades ? Oui et non. « L’évolution est évidente, observe Fabienne Duboscq, directrice générale de l’Unafam (voir encadré ci-dessous). Les troubles de la dépression ou de la bipolarité sont beaucoup plus admis. C’est plus difficile pour les troubles schizophréniques, mais on arrive à sortir des images de violence qui y sont associées pour admettre que les personnes concernées se trouvent dans l’incapacité de gérer leur vie seules. Pour autant, de nombreuses familles connaissent encore la souffrance de la stigmatisation. » Aude Caria, directrice stratégie et développement du Psycom (voir encadré ci-dessous), est encore plus nuancée : « Les personnes vont identifier plus facilement les symptômes, pour leurs proches ou pour eux-mêmes, savoir que la médecine est un recours possible, mais ce n’est pas parce qu’on connaît mieux les pathologies qu’on en a moins peur. En tout cas, c’est ce que montrent les dernières études à ce sujet. Il existe un noyau dur d’idées reçues associant folie et danger, voire crime. Il est très difficile de le faire évoluer. C’est paradoxal : les médias permettent une augmentation du niveau de connaissances sur ces pathologies, mais renforcent la stigmatisation par leur traitement spectaculaire de quelques faits divers. »
Soignants : la fin des certitudes
Et le regard des professionnels de santé directement concernés au quotidien, a-t-il changé, lui ? Là encore, difficile de trancher. « Grâce à Internet, explique Fabienne Duboscq, les familles se renseignent sur les troubles, cherchent une association pour les soutenir. Elles revendiquent aussi de pouvoir faire part de l’évolution du malade aux soignants, pour les aider dans le diagnostic et l’organisation des soins. Elles ne sont plus considérées comme toxiques, ou à l’origine de la maladie de leur enfant. C’est essentiel. » Officiellement, en tout cas. On pourrait assombrir le tableau, notamment sur le cas particulier de l’autisme, chez certains professionnels… Aude Caria enfonce le clou : « Les soignants ont les mêmes idées reçues, et véhiculent souvent beaucoup de stigmatisation. Par exemple, leurs études de base les forment à penser que les pathologies sont chroniques et très invalidantes, que les patients doivent être soignés à vie. » Pourtant, des études de cohortes au long cours montrent que 50 à 70 % des personnes vivant avec des troubles schizophréniques ou bipolaires, par exemple, se rétablissent suffisamment pour mener une vie épanouissante. Tout un mouvement a émergé dans les pays anglo-saxons pour défendre cette conception du rétablissement (recovery). Or, la représentation d’une pathologie a forcément un impact sur les prises en charge proposées. « Cette conception du rétablissement commence à se développer, mais suppose un changement de paradigme complet, poursuit Aude Caria : au lieu de considérer la personne schizophrène comme devant prendre des médicaments à vie, ne pouvant avoir ni travail ni vie de famille, un service orienté vers le rétablissement va se baser sur ses capacités pour l’accompagner au mieux, compenser les symptômes de la maladie, assurer son intégration sociale. D’où l’importance de travailler aussi sur les idées reçues des professionnels. »