Partis sans laisser d'adresse...

Ils sont plusieurs milliers chaque année à abandonner leur vie, leur maison, 
leur famille pour ne plus jamais reparaître. Qu’est-ce qui motive ces disparus volontaires ? Comment se reconstruisent-ils ? Quelles sont les conséquences psychologiques pour ceux qui restent ?

Qui n’a jamais connu ces périodes de découragement où rien ne semble tourner rond, où on peut avoir l’impression que l’ultime solution à tout serait de larguer les amarres, d’aller vivre ailleurs, autrement ? Ces périodes où l’on se demande ce qu’on fait là, à poursuivre une vie qui ne nous ressemble plus, que l’on n’arrive plus à supporter ? Beaucoup traversent ces affres mais poursuivent leur chemin sans grand bouleversement. Certains sautent le pas, changeant de vie après mûre réflexion en embarquant femme et enfants. D’autres encore partent seuls, sans laisser de traces ni d’adresse. On les reverra peut-être un jour, des années après, peut-être jamais. Ces disparus volontaires sont au nombre de 5 000 chaque année, selon la plupart des chiffres disponibles, et de 15 000 selon l’enquête du journaliste et écrivain Hubert Prolongeau. Dans Partis sans laisser d’adresse (le Seuil, 2001), il nous rappelle qu’il y eut des fugueurs célèbres, tel l’avocat Jacques Vergès, dont on n’eut pas de nouvelles entre 1970 et 1978, ou encore l’écrivain américain Ambrose Bierce, qui s’embarqua pour le Mexique à 71 ans et dont on n’eut plus de nouvelles ensuite.

Le bonheur à la clé ?

En droit français, chacun a le droit de disparaître, et toute personne disparue que l’on retrouverait peut refuser que l’on communique son adresse à ceux qui le recherchent, sauf dans certains cas, par exemple s’il s’avère que le disparu a un arriéré de pension alimentaire non payée. Mais au-delà de l’anecdote et du droit, au-delà de l’apparente grandeur et du supposé courage de ceux qui plaquent tout sans laisser d’adresse, quelle réalité psychique pour celui qui part et pour ceux qui restent ?

Damien est un disparu volontaire heureux, du moins dans le discours (voir encadré). Mais pour vivre heureux, Damien vit caché. Un choix pas si simple mais que certains, pourtant, peuvent assumer. Le psychanalyste Saverio Tomasella, auteur entre autres de l’ouvrage Le sentiment d’abandon (Eyrolles, 2010), en témoigne : « Ceux qui choisissent de partir, de tout abandonner sans laisser d’adresse, ne peuvent pas être complètement heureux car ils s’amputent de leur histoire. Pourtant, au prix de cette amputation, certaines personnes qui ont besoin d’oublier leur passé semblent parvenir à repartir sur d’autres bases, parfois meilleures. Sinon, elles reproduiront le même schéma, la même rupture ».

Sandrine Bonnefond, psychologue à Lyon, ne répond pas autrement : « Être heureux en laissant son passé derrière soi ? Il est difficile de généraliser. Cela questionne l’altérité. Si le déni de l’autre est assez fort – en termes de mécanismes psychiques de grande rigidité –, alors la personne pourra poursuivre sa vie et cette vie sera faite de tiroirs à ouvrir et ne pas ouvrir. S’il y a culpabilité, il y a altérité et c’est le lien à l’autre qui pourra permettre à l’individu de revenir et d’affronter ceux et ce qu’il a laissés. » Parfois, des disparus volontaires reviennent ou tentent de le faire. Des retours souvent difficiles (voir encadré).