Patrick Clervoy : Quelle vie après les attentats ?

Les attentats de novembre ont posé de multiples questions avec une urgence et une acuité inédites. Comment intégrer la violence au quotidien ? Quels rôles peuvent jouer les réseaux sociaux et les médias ? Faut-il rire de la peur ?

Réponses de Patrick Clervoy, psychiatre du service de santé des armées, et professeur agrégé du Val-de Grâce. Il a notamment publié Le syndrome de Lazare, traumatisme psychique et destinée (Albin Michel, 2007), Dix semaines à Kaboul. Chroniques d’un médecin militaire (Steinkis, 2012), L’effet Lucifer : du décrochage du sens moral à l’épidémie du mal (CNRS Editions, 2013), et va sortir  début 2016 Etat de stress post-traumatique chez Lavoisier avec Aline Delahaye et Virginie Vautier.

Vous avez écrit sur le syndrome de Lazare ou « syndrome du survivant ». En quoi consiste-t-il ? Quelles conséquences chez ceux qui ont survécu aux attaques terroristes du 13 novembre ?

Evidemment des conséquences traumatiques. C’est-à-dire l’inscription d'une manière presque indélébile dans la mémoire, des émotions et des images effroyables qui se sont associées à ces émotions. Il y a alors répétition et intrusion dans la mémoire de ces souvenirs traumatiques (« ecmnésies » en français, ou « flash backs »), ce qui peut virer la nuit à des cauchemars traumatiques. Et il n'y a pas eu que les blessés dans Paris… Il y a eu beaucoup de panique, de nombreuses personnes ont fui, ont couru, il y a eu des bousculades. Y compris pour celles qui étaient au stade de France, et même si les explosions ont eu lieu à distance : le simple fait d’y avoir été, d’avoir vécu l’attente, l’incertitude, les contrôles de police… Ca aussi c’est un stress important. Donc bien sûr ceux qui ont été pris par exemple dans les prises d’otages ou fusillades, ceux qui ont été blessés dans leur chair, sont très impactés. Mais on peut penser que toute une série de personnes, dans un cercle beaucoup plus large, ont vécu un stress à dimension traumatique. Cela inclut également ceux qui vivent à proximité des lieux, même s’ils n’y étaient pas le soir du drame, et ceux qui s’y rendent régulièrement. Parce que le traumatisme n'est pas seulement la réalité de ce qui a été vécu… C’est toute l’amplification imaginaire autour de cela : que se passe-t-il ? Qu’est-ce qui nous arrive ? Il y a aussi aujourd'hui des opérations de police en cours et certains peuvent les vivre comme une reviviscence d'une menace et d'un péril vital.