Paul Sollier, un aller-retour dans l'oubli

Pourquoi oublie-t-on de grands cliniciens, et pourquoi les redécouvre-t-on au bout d’un siècle ? Exemple avec Paul Sollier, thérapeute et inspirateur de Marcel Proust, qui resurgit aujourd’hui comme contre-exemple de la psychanalyse.

Tout comme Pierre Janet, Joseph Babinski ou encore Sigmund Freud, Paul Sollier a été l’un des nombreux élèves de Jean-Martin Charcot. Au début du XXe siècle, il est un auteur prolixe, doublement formé à la neurologie et à la psychiatrie, traduit dans de nombreuses langues, et reconnu pour ses travaux sur la mémoire, les émotions, « l’idiotie », l’alcoolisme, ou l’hystérie. Son établissement de Boulogne-sur-Seine, « sanatorium », conjointement dirigé avec sa femme Alice Dubois, également neurologue, jouit par ailleurs d’une certaine réputation. Il attire en effet de nombreuses personnalités, parmi lesquelles Marcel Proust, à la fin de l’année 1905.

Cependant, s’il est devenu professeur à Bruxelles, Paul Sollier n’aura jamais eu de carrière universitaire en France, et ne sera pas élu à l’Académie de médecine de Paris, malgré ses multiples tentatives. Ce qui explique, peut-être, pourquoi il reste aujourd’hui largement oublié, autant par le grand public que par la plupart des professionnels de la neurologie et des « psys ». Un oubli de l’histoire probablement facilité par la disparition de ses archives en 1942, lors d’un bombardement allié, par erreur, de son établissement, devenu l’hôpital Ambroise Paré après son rachat en 1921 par l’Assistance publique.

Du côté de chez Sollier

C’est justement en raison de cet « oubli », qu’ils semblent considérer comme une injustice, que plusieurs médecins et neurologues, mais aussi spécialistes de Proust, cherchent depuis quelques années à le sortir de l’ombre. Parmi eux, le médecin généraliste Olivier Walusinski et le neurologue suisse Julien Bogousslavsky, pour qui Paul Sollier est considéré comme l’un des premiers neuropsychologues.

Dans un article 1 paru en 2008, ils exhument un extrait du mémoire de candidature de Sollier à l’Académie de médecine 2, où il explique ses principes thérapeutiques : « L’étroite union entre la sensibilité et la motricité tant à l’état normal que pathologique permet de penser qu’en modifiant l’une, on doit forcément modifier l’autre et réciproquement. Au lieu d’agir sur l’élément moteur par la sensibilité morale, j’ai pensé qu’on pourrait modifier celle-ci par une action sur la motricité, laquelle est toujours plus facile à atteindre que le sentiment et le moral. » Il s’agit donc, en agissant sur le « physiologique », de rétablir le « psychologique », et non pas l’inverse comme cela a pu être défendu chez les partisans du « tout psychologique », tel Pierre Janet, contre lequel s’était positionné Paul Sollier. Non sans recevoir en retour une bonne dose de mépris…

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L’intérêt pour la mémoire de Sollier a probablement été impulsé par Jean-Martin Charcot lui-même. En effet, juste avant sa mort, le célèbre neurologue de La Salpêtrière lui a demandé de réaliser la synthèse de ses travaux sur cette question. Sollier continuera à travailler dessus. Contribution majeure : sa conception de la mémoire involontaire, qu’il nomme « reviviscence », et qui implique, en plus des souvenirs, une réactivation émotionnelle. « Un souvenir est une image (…) reproduisant une impression passée. La reviviscence est quelque chose de plus : c’est non seulement l’apparition dans la conscience d’une image, d’une impression ancienne, mais avec une telle netteté, et de plus accompagnée de la reproduction si précise et intense de tout l’état de personnalité du sujet au moment de l’impression première, que ce sujet croit de nouveau traverser les mêmes événements qu’autrefois. » Sollier parle d’« état cénesthésique », qu’il recherche à créer dans ses cures, notamment avec ses patients hystériques, afin de revenir au moment où leur état de sensibilité était intense.