Penser le postcolonial. Une introduction critique

Le « PoCo » (postcolonial), c’est un peu comme le « PoMo » (postmoderne) : pas facile à définir, sinon par des noms, des dates, des lieux et une langue (l’anglais). En 1978, Edward Saïd achevait L’Orientalisme, considéré comme l’ouvrage fondateur de la critique postcoloniale. La décennie suivante vit quelques dizaines d’universitaires historiens, littéraires et philosophes inaugurer les « études postcoloniales », dont le projet était d’aller au-delà de la critique humaniste du colonialisme et de ses conséquences culturelles. Leurs bases principales : des départements de littérature comparée ou d’histoire situés aux Etats-Unis, en Inde, en Angleterre, et dans le reste de l’ex-Commonwealth. Depuis, le postcolonial est devenu une galaxie intellectuelle, avec ses têtes pensantes, ses troupes d’enseignants et ses satellites, dont les écrits et les idées commencent à se frayer un chemin en Europe continentale.
La traduction de ce recueil dirigé par Neil Lazarus, professeur de littérature comparée à Warwick (Angleterre), s’inscrit dans ce mouvement salutaire. La douzaine d’études qu’il rassemble présente en même temps qu’elle illustre les raisons, les objectifs et les façons de faire de la critique postcoloniale. Les raisons ? Essentiellement le contexte historique d’un monde faussement décolonisé, dans l’esprit comme dans les faits. Les objectifs ? Relire l’histoire en la débarrassant des œillères de la culture occidentale, rompre son hégémonie et faire valoir le point de vue des (ex-)colonisés tels qu’ils vivent aujourd’hui la mondialisation.
La manière de faire ? C’est là que cela se complique, car l’analyse postcoloniale s’est équipée à plusieurs sources : un restant de marxisme non orthodoxe, et surtout le « déconstructionnisme » de Jacques Derrida, qui tend à classer tout au rayon des représentations et entraîne un éclectisme poussé des références. Résultat : pas de « discipline » ni de « théorie » postcoloniale, mais une série de relations tendues et de débats d’idées, bien représentés dans le recueil de N. Lazarus : postcolonialisme et post-structuralisme, postcolonialisme et féminisme, postcolonialisme et nationalisme, etc. A vrai dire, on pouvait espérer qu’une introduction à la fois plus modeste et factuelle des travaux réalisés soit d’abord offerte au public français avant d’entrer dans des débats parfois difficiles à suivre.