Perdre un enfant, la mémoire et l'oubli

On n’est jamais préparé au deuil. Encore moins à celui d’un enfant. Un drame que vivent pourtant beaucoup de parents, qui doivent continuer à vivre au-delà de la douleur, indicible. A l’absence cruelle succède pourtant l’avenir, fait de mémoire et d’oubli. D’espoir aussi.

« Quand on me disait « comment vas-tu ? », je répondais « je fonctionne ». Oui, parce qu’il n’y avait rien d’autre à répondre. Je n’allais pas, je n’allais nulle part. Un pas se mettait devant l’autre, ma respiration continuait à gonfler mes poumons, je mangeais, buvais, clignais des paupières… Tout fonctionnait, en apparence… Mais au-delà, c’était le cataclysme ». Muriel, l’une des nombreuses mamans à échanger sur un site de parents désenfantés - c’est ainsi qu’on les appelle aussi -  se souvient des mois qui ont suivi la mort de Samantha, sa fille de 17 ans.  Ce chaos, tous les parents endeuillés le connaissent. Un état de sidération du psychisme qui suit le choc, et fait vivre comme sur pilote automatique. Dans un second temps, les parents réalisent la perte et l’absence. « Dans cette phase-là, les parents entrent dans un syndrome dépressif mélancolique, une tristesse inconsolable, accompagnée d’une baisse de l’estime de soi. Ils ont des troubles de l’immunité, une grande fatigabilité, des difficultés à se concentrer, des trous de mémoire effrayants » commente Maryse Dumoulin, médecin en pathologie maternelle et fœtale (voir encadré).

Entre aussi en scène la culpabilité, immense. Envahissante, même, pour les mères qui s’en veulent terriblement de ne pas avoir pu protéger leur enfant, comme l’écrit Pauline Aymard dans son ouvrage Elle s’appelait Victoire (Eyrolles, 2011), où elle relate la perte de sa fille de 7 jours suite à une erreur médicale lors de son accouchement : « Cette enfant que je serre contre moi, que je nourris de mon sein, à qui je chante depuis des jours et des jours Douce Nuit sans m’arrêter, je n’aurai pas réussi à la sauver. Moi, sa mère, mon sein n’aura pas suffi ». Même constat pour la psychanalyste Ginette Raimbault, auteur de Lorsque l’enfant disparaît : « Dans ces drames, le tort, la faute, la culpabilité, la responsabilité sont inévitablement sur le devant de la scène». Une culpabilité telle que les parents endeuillés, le plus souvent, ne s’autorisent pas avant de longs mois à sourire, à avoir des moments de bonheur, parlent comme Muriel de « cette impression de ne jamais pouvoir, ni même de vouloir se relever de cette épreuve ». Une épreuve bien au-delà de la douleur de perdre un autre proche parce que la vie d’un enfant, pour ses parents,  commence bien avant qu’il ne naisse, comme le confirme Ginette Raimbault : « Pour la plupart des parents, l’enfant vient dans un monde où sa vie est déjà imaginée. Ne l’est-elle pas avant même sa conception ? La disparition de l’enfant est une amputation de ce projet. »