Philosopher avec les enfants

L’Unesco vient d’ouvrir une chaire consacrée à la philosophie avec les enfants, basée à l’université de Nantes, pour encourager cette pratique au sein des écoles maternelles et primaires.

Faire philosopher les enfants, c’est possible ? Pour l’Unesco, la réponse ne fait aucun doute. En créant une chaire spécifique, elle invite chercheurs et praticiens du monde entier à coopérer sur ce thème, tandis que les enfants et adolescents (de 4 à 18 ans) converseront via une plate-forme collaborative. Dès ses origines en 1946, l’organisation a valorisé la philosophie, perçue comme une « école de solidarité humaine » et un moyen d’améliorer la compréhension entre les peuples. En 2005, elle a adopté une stratégie à long terme pour mieux faire connaître la philosophie au grand public, promouvoir son enseignement et encourager le dialogue philosophique. Aujourd’hui, elle cible les enfants : « L’actualité tragique partout dans le monde alerte les autorités publiques sur la nécessité d’éduquer dès le plus jeune âge les futurs citoyens et citoyennes à l’esprit critique, aux valeurs humanistes, à l’égalité entre les hommes et les femmes, à la nécessité d’un dialogue apaisé et respectueux entre toutes les cultures. »

Prendre soin de l’âme

Néanmoins, depuis l’Antiquité, l’éducabilité philosophique de l’enfance fait débat. Pour certains philosophes, l’enfant n’aurait pas encore la maturité de raisonnement suffisante. Dans La République 1, Platon propose un apprentissage de la philosophie par une initiation à la dialectique, mais pas avant l’âge de 30 ans. Aux yeux de Descartes, philosopher, c’est justement quitter l’enfance en se délivrant de « jugements précipités 2 ». De son côté, Rousseau, pourtant pionnier d’une éducation fondée sur le respect de la liberté de l’enfant, confie dans Émile : « Je ne vois rien de plus sot que ces enfants avec qui l’on a tant raisonné. De toutes les facultés de l’homme, la raison, qui n’est, pour ainsi dire, qu’un composé de toutes les autres, est celle qui se développe le plus difficilement et le plus tard 3. »

À l’opposé, d’autres philosophes pensent qu’un enfant peut exercer spontanément son jugement. Épicure estime ainsi qu’il n’y a pas d’âge pour débuter : « Il n’est jamais trop tôt, qui que l’on soit, ni trop tard pour l’assainissement de l’âme 4. » Pour Montaigne, l’éducation à la philosophie doit même intervenir le plus tôt possible : « Un enfant en est capable, au partir de la nourrice, beaucoup mieux que d’apprendre à lire ou à écrire 5. » Quant à Karl Jaspers, il remarque les multiples interrogations existentielles et métaphysiques des enfants : « On entend souvent de leur bouche des paroles dont le sens plonge directement dans les profondeurs philosophiques 6. »