Pierre Janet, une révolution psychologique

Fer de lance de la psychologie expérimentale et de la psychopathologie, fondateur de la psychologie dynamique, Pierre Janet a laissé une œuvre que l’on ne cesse de redécouvrir.

Tour à tour philosophe, psychologue et médecin, Pierre Janet (1859-1947) témoigne par son parcours de l’évolution décisive de la psychologie à la fin du XIXe siècle. En connectant la recherche fondamentale au médical, il est l’auteur d’une révolution aussi intellectuelle que thérapeutique. Si l’on ne compte pas d’école janetienne aujourd’hui active, la quasi-totalité de ses ouvrages sont toujours édités, preuve de leur influence persistante.

Héritier et pionnier

Lycée Saint-Barbe, normalien, agrégé de philosophie, docteur de deux thèses en philosophie et médecine, enseignant à la Sorbonne et au Collège de France : un parcours d’excellence qui s’explique d’abord par un entourage familial et universitaire fécond. Pierre Janet passe sa jeunesse à Bourg-La-Reine, en région parisienne, où il cultive sa passion précoce pour la botanique, qu’il n’abandonnera jamais. Mais il est surtout nourri par les intellectuels de la famille, son oncle Paul Janet (1823-1899) notamment, professeur de philosophie à la Sorbonne et auteur de textes importants sur la notion de personnalité, le cerveau et la pensée. Pierre Janet va emprunter la même voie, ce qui va l’amener à fréquenter le philosophe Henri Bergson, élève à l’École normale supérieure (ENS) dans les mêmes années. Mais il se sent vite attiré par la psychologie, qui est alors une branche de la philosophie. Théodule Ribot (1839-1916), chargé du premier cours de psychologie expérimentale créé à la Sorbonne et proche de son oncle, lui conseille habilement de faire un double cursus en médecine pour renouveler l’approche de cette discipline. L’étudiant modèle devient donc préparateur en physiologie, parallèlement à ses trois années d’étude à l’ENS, obtenant l’équivalent d’une deuxième année de médecine. Son agrégation en poche en 1882, il enseigne la philosophie en lycée pendant sept ans au Havre, tout en lançant ses premières recherches en psychologie expérimentale.

Rapidement introduit dans les milieux médicaux havrais, Pierre Janet obtient de la direction de l’hôpital que lui soit confié une salle qu’il baptisera avec humour « Saint-Charcot », en référence au célèbre psychiatre et neurologue de la Pitié Salpêtrière à Paris, pour observer « tous les névropathes de Normandie », écrit-il. C’est ce que rapporte Frédéric Carbonel dans sa thèse consacrée aux « Aliénistes et psychologues en Seine-Inférieure de la Restauration au début de la IIIe République » (2009), et son article sur « Pierre Janet et les médecins aliénistes du Havre » (1883-1889). Le Dr Joseph Gigert le pousse à étudier en particulier les phénomènes de somnambulisme, d’hypnotisme et de suggestion. Le philosophe, apprenti psychologue, va donc suivre les cas de 19 malades atteints d’hystérie et de 8 psychotiques et épileptiques. Il se concentre sur la question de la dissociation dans les personnalités pathologiques, publie des articles sur le somnambulisme avant de soutenir sa thèse principale sur L’Automatisme psychologique en 1889, doublé d’une thèse secondaire en latin sur Bacon et les alchimistes. Il s’agit d’un doctorat de philosophie, la psychologie n’ayant pas encore été séparée de sa discipline mère.