Plus on change, moins on change

Un grand hôpital veut se réorganiser en constituant des équipes de soins autonomes, dont chacune comprend médecins, infirmières et pharmaciens. Une grosse société souhaite transformer son organisation hiérarchisée en une juxtaposition d'équipes autonomes. Tous deux font appel à Andrew L. Molinsky, spécialiste en sociologie des organisations à Harvard, pour qu'il étudie à fond par quelles voies les projets élaborés par la direction se réalisent à la base. Et, dans les deux cas, le chercheur est amené, par ses observations sur le terrain, à transformer sa recherche en une étude des raisons pour lesquelles le changement ne se produit pas... Ces raisons peuvent s'exprimer, selon l'auteur, sous forme de trois paradoxes : 1) Le changement nécessite l'implication de la direction ; mais l'implication de la direction fait obstacle au changement. Pourquoi ? Parce que la direction opère d'ordinaire comme le recommandent les bons auteurs : elle désigne un responsable du projet. Mais, pour peu qu'il existe des antagonismes entre services ou personnes - ce qui est fréquemment la raison pour laquelle on voulait changer -, l'hostilité envers le responsable désigné « déteint » sur le projet auquel il est identifié. Ou encore, la direction fait étudier la réorganisation dans le cadre de réunions interservices, ce qui exigerait, pour aboutir, une confiance et un esprit de coopération que la réorganisation a précisément pour objectif de promouvoir... 2) Le changement nécessite un engagement enthousiaste des responsables désignés, mais cet engagement fait obstacle au changement. Pourquoi ? Parce que, pour démontrer combien ils sont enthousiastes, ils ont tendance à s'engager dans dix projets à la fois, réduisant leur temps disponible pour chacun et semant la confusion ; et à minimiser les obstacles. 3) Le changement a besoin d'un discours « vendeur », mais ce discours fait obstacle au changement. Pourquoi ? Parce que les sociétés en mal de réorganisation sont souvent celles qui, dans le passé, ont promis sans tenir, et leurs salariés sont devenus sceptiques : ils débitent du « discours enthousiaste » devant les représentants de la direction, et gardent pour eux critiques et réserves.