« Chez lui, ce qui est bon n’est pas neuf, et ce qui est neuf n’est pas bon. » Voilà ce que ses détracteurs disent parfois du fondateur de la psychanalyse, et ce que l’on pouvait redouter de Michel Onfray en apprenant qu’il consacrait son dernier ouvrage à supplicier Sigmund Freud.
Cinq ans après la polémique du tonitruant Livre noir de la psychanalyse, à laquelle il s’était abstenu de prendre part, et plusieurs décennies après certains historiens, que pouvait apporter le philosophe ? On pouvait s’attendre à une charge susceptible de diffuser auprès d’un plus large lectorat les diatribes habituelles des antifreudiens, mais peu novatrice sur le fond. On avait tort.
Certes, M. Onfray s’aventure en terrain familier en accusant Freud de mégalomanie absolue, d’invention de succès cliniques, de divagations cocaïnomanes, de complaisance pour l’occultisme, d’avoir théorisé le complexe d’Œdipe en prenant son cas pour une généralité… Autant d’assertions qui laisseront ébahi le lecteur néophyte, mais donneront aux autres une impression de déjà-lu. En revanche, M. Onfray nous prend par surprise en consacrant ses cent premières pages aux rapports de Freud à la philosophie, un thème nettement plus original dans ce genre de réquisitoire. La thèse longuement défendue est que Freud s’est contenté de rhabiller, avec le vocabulaire ronflant de la psychanalyse, de vieux concepts empruntés notamment à Nietzsche et à Schopenhauer, dans une tentative désespérée, et finalement couronnée de succès, de passer pour un homme de science accompli plutôt que pour un philosophe raté. Parmi les autres passages novateurs figure la dénonciation de la complaisance de Freud à l’égard du chancelier Dollfuss, instaurant en Autriche une politique autoritaire et répressive, ou encore de Mussolini, pour lequel, en 1933, il se fendit d’une dédicace adressant son « salut respectueux » à « un héros de la culture ». M. Onfray ne fait pas de quartier : on chercherait en vain le moindre compliment, voire la moindre circonstance atténuante à Freud dans ce portrait de 600 pages à coups de marteau, pour reprendre la formule nietzschéenne. On peut regretter que l’auteur mêle indifféremment des hypothèses scabreuses, même hautement probables, sur la vie privée de son sujet, avec des faits confirmés de la main même de Freud comme la falsification des cas cliniques fondateurs de la psychanalyse, imposture des plus embarrassantes du strict point de vue scientifique.