Pourquoi Bourdieu


Nathalie Heinich, Gallimard, coll. « Le Débat », 192 p., 15 e.
« Que s’est-il donc passé pour qu’un universitaire, fils de petits employés béarnais, “monté” à Paris pour faire l’École normale supérieure, devienne le temps d’une génération ce phénomène international : « Bourdieu » ? » Tel est le fond de la question qui donne son titre à l’ouvrage. Pour y répondre, l’auteure occupe une place de choix. Spécialiste de la sociologie de l’art, elle a fait sa thèse avec Pierre Bourdieu, puis a progressivement pris ses distances. D’où, pour une fois, un portrait intellectuel qui évite l’hagiographie aussi bien que le procès à charge. Pas ou peu d’anecdotes cependant, mais une mise en évidence des séductions que pouvait exercer le sociologue et des limites de sa posture. Nathalie Heinich pointe notamment le « doublé générationnel » réussi par Bourdieu. Séduisant dans les années 1960 les soixante-huitards par son humeur critique et anti-institutionnelle (Les Héritiers), il séduit trente ans plus tard leurs enfants précarisés en défendant l’État, le service public, l’autonomie du champ intellectuel contre les puissances capitalistes et médiatiques. Sans dénoncer cette volte-face, N. Heinich souligne combien Bourdieu a fait plus que s’adapter à ce tout nouveau contexte : « Il l’a accompagné, porté, mis en mots, se glissant en lui en même temps qu’il glissait sur lui, tel un surfeur sur la vague d’un mouvement de fond. »