Pourquoi tant d'étrangers dans les prisons ?

Inutile de se voiler la face : la part des étrangers dans la population carcérale a connu, dans plusieurs pays d'Europe de l'Ouest, une croissance importante au cours de ces dernières décennies. En France, cette part est passée de 18 % en 1975 à 26 % en 1995, et concerne environ 14 000 prisonniers, sur un peu plus de 53 000. Bien évidemment, c'est l'écart existant entre cette proportion de la population incarcérée et la part des étrangers vivant en France (6 %) qui appelle des commentaires. A ceux qui voudraient attribuer aux étrangers des tendances intrinsèquement délinquantes, Loïc Wacquant oppose une analyse plus distanciée. Il relève d'abord qu'une augmentation générale de la population carcérale s'est produite en Europe en même temps que l'arrivée du chômage de masse et de la fragilisation de l'emploi. Les étrangers (et les immigrés) qui font partie des catégories les plus vulnérables de travailleurs sont donc visés au premier chef par ce processus de dégradation de leur condition économique et sociale. Ensuite, il note que - à délit égal - l'emprisonnement est deux fois plus souvent imposé aux étrangers qu'aux nationaux, qui bénéficient facilement de sursis ou de dispenses de peine. Enfin, il souligne que, du fait même de leur condition, les étrangers sont exposés à des infractions spécifiques, comme celle de séjour irrégulier, pour lesquelles ils sont fréquemment appréhendés et détenus : selon L. Wacquant, les seules infractions à la police des étrangers (qui ont triplé en vingt ans) suffisent à expliquer l'augmentation du nombre d'étrangers dans les prisons françaises dans ce même temps. Sa croissance serait le signe, en somme, d'une efficacité répressive accrue. Reste à expliquer la surreprésentation chronique des étrangers dans les prisons : pour cela, les arguments sociologiques cités plus haut suffisent, mais ne satisferont évidemment pas ceux pour qui la déviance est une conduite, et non un simple destin.